Conseil séduction : le chloroforme. Radical mais efficace.
Avec cette sinistre histoire de pervers qui endort les femmes pour leur faire l'amour et les photographier, y avait fort à parier que Kôji Wakamatsu s'en donnerait à coeur joie ! Et, en effet, le film est très représentatif de son style.
Plutôt que de donner dans le thriller sexuel bon marché en filmant son sujet de l'extérieur, Wakamatsu adopte le point de vue de son personnage et épouse ainsi parfaitement son fétichisme. Le but n'est pas de taper dans le suspense, il s'agit au contraire de sublimer le prosaïsme, le salace et ça a toujours été la préoccupation numéro un de Kôji Wakamatsu, LE cinéaste nippon de la vulgarité poétisée.
Dans le genre, y avait déjà Va, va vierge pour la deuxième fois qui commençait pourtant extrêmement brutalement : une jeune femme se fait gangbanger par cinq mecs sur le toit d'un immeuble. Mais justement, ce n'était jamais malsain, ce n'était jamais bêtement provoc, c'était juste beau. Parce que pour Wakamatsu, l'enfant terrible du cinéma japonais de l'époque, la beauté n'est jamais aussi puissante que quand elle passe par le prisme de la violence.
C'est pour ça que les films de Wakamatsu sont aussi esthétiques. Il y a quelque chose de baudelairien chez lui, dans sa manière de capitaliser sur la poésie sourde et sensorielle de l'horreur et de l'abject. Wakamatsu, c'est pas de l'exploitation racoleuse où on cherche à appâter le chaland un poil déviant avec du viol. On est devant un cinéma très lyrique et très politique qui utilise la violence, non pas comme un prétexte (parce qu'elle est essentielle à la grammaire cinématographique du bonhomme), mais comme un support. Un support pour créer 1/ de la sensualité 2/ de la poésie 3/ entamer une réflexion sociétale avec le spectateur.
Piscine sans eau est surtout l'occasion pour Wakamatsu d'aborder une fois de plus la question du fantasme et du fétichisme. Il l'avait déjà fait par le passé, notamment dans un Violence sans raison un peu limité, qui se contentait de rejeter la faute sur les structures sociales.
Ici, l'étude est plus subtile, parce que le cinéaste ausculte réellement son personnage, bien plus fascinant qu'à l'accoutumée.
C'est pour ça que le film est plus long que d'habitude (1h40 contre 1h10 pour la plupart des pinku eiga du bonhomme), parce que le cinéaste prend le temps de développer ses enjeux et le fantasme du personnage. L'exposition dure, les rituels pervers aussi.
Tout ceci contribue à faire du film une sorte de langoureuse et lente expérience esthétique, où la froideur et la distanciation paralysent quand même (faut le dire, je vais pas multiplier les éloges pendant trois plombes) la poésie potentielle qui pourrait se dégager.
C'est froid donc, peut-être trop. Et ça laisse l'impression que le film manque un peu de chair, de consistance. Mais esthétiquement, c'est très beau. Wakamatsu profite de la couleur pour jouer sur la lumière, et accoucher de plans délicieux à l'oeil.
Pour revenir sur la chose politique, consubstantielle au cinéma de Kôji Wakamatsu donc, la réponse est assez nuancée. Pourquoi la déviance sexuelle ? Parce que la société le favorise, parce que notre personnage est conditionné dans une dynamique d'aliénation que le film montre très bien : au travail notamment, il doit se faire chier notre ami à poinçonner des tickets de métro. Pourtant, il y a autre chose, le fétichisme ne se déduit pas seulement des structures. Il y a une part de libre-arbitre là-dedans, il y a une part de tension sexuelle qui va faire que.
Bref, Wakamatsu ne donne pas une réponse toute faite et traite son sujet de manière plutôt austère, mais pas moins pertinente.