On a beaucoup comparé cette dernière réalisation du joyeux duo, dialoguiste et scénariste, Jaoui-Bacri, à la récente sortie d’un autre duo, Nakache et Toledano, « Le Sens de la fête » (2017). Rapprochement fondé sur une similitude de base : une fête, mariage ou pendaison de crémaillère, se déroule dans un lieu écarté ; lieu choisi, luxueux, relevant du domaine du privé, mais dans lequel se trouve réuni tout un public, comme sur une véritable « place publique », où toutes les interactions humaines pourront alors se jouer. Autre similitude, entre noyau dur et hasard, la réunion au casting de trois acteurs masculins, avec un ordre décroissant d’importance : Jean-Pierre Bacri, ici Castro, gloire descendante de la télévision, Kevin Azaïs, son chauffeur, et Sam Karmann, qui fait une apparition... Mais autant « Le Sens de la fête », fidèle à son titre, voulait préserver la notion de fête, quitte à malmener celle-ci puis à la sauver in extremis de manière quasi miraculeuse, autant cette cinquième réalisation de l’actrice Agnès Jaoui consent à ne pas maquiller les diverses défaites auxquelles vont se heurter les protagonistes.
L’action, très resserrée, de la fin d’après-midi au cœur de la nuit, accompagne ainsi la fête, de sa mise en place, avec l’arrivée progressive des invités, jusqu’aux plus tardifs et plus attendus, jusqu’à son délitement, au fur et à mesure que la nuit s’avance. On assiste à la naissance des mirages, qu’ils soient amoureux ou jaloux, ou bien, très loin du centre de l’action, de liens peut-être moins illusoires. Naturellement, le scénario étant écrit à quatre mains par le duo le plus acerbe du cinéma français, les coups de pattes sont généreusement distribués, généralement pour le plus grand plaisir des spectateurs, car ils ne sont pas volés : sont ainsi fustigés tous les égoïsmes, démasquées toutes les impostures, dénoncés tous les écarts entre le masque et le vrai visage... L’obscurcissement de la scène accompagne une plongée dans la noirceur et le scénario se place alors du côté de ceux qui reçoivent les coups de griffe. Bacri, amer, endolori, grimaçant, est plus enthousiasmant que jamais... Le nom de son personnage, Castro, envoie, à lui seul, plusieurs messages contradictoires : allusion à d’anciennes gloires politiques, outre Atlantique ? à la bonne dose de castrations que l’existence se charge de lui faire subir ? à ses tours de chant, qui ne révèlent toutefois pas une voix de castrat, mais un beau timbre, posé, juste, qui imite à la perfection les intonations d’un Montand (dévoilées dès la bande-annonce) ou encore (cadeau inespéré à ceux qui se seront déplacés pour voir le film) d’un Bashung ? Puisque c’est sur cette très belle reprise, totalement inattendue, de « Osez, Joséphine » que se referme cette nuit ; Bacri, accompagné d’une guitare seule, fait alors entendre toutes les failles, mais aussi toutes les attentes encore ouvertes, qui minent son personnage, même si « plus rien ne s’oppose à la nuit, rien ne justifie... ». Le film, lui, aura osé, osé tenter de dire, osé tenter de faire entendre ce qui se joue, quand vient la nuit...