C’est l’un des effets festival : la programmation est tellement éclectique et internationale qu’on en oublierait presque la production nationale ; et lorsque les sous-titres ne s’affichent qu’en anglais, on prend conscience qu’on va pouvoir se contenter d’écouter les répliques.
Le rappel est d’autant plus net avec ce film qu’il impose, dès ses premières minutes, tout ce dont le cinéma français, et lui seul, est si coutumier. Jeu décomplexé, discussions à rallonge sur l’atermoiement des sentiments, milieu homo intello parisien, Honoré assume et se regarde en jeune homme des années 90. L’esthétique, très bleue et un peu électrique, pose une période qui n’a plus le faste clinquant de la décennie précédente, mais dans laquelle les nuits sont encore claires et les travellings dans les rues lyriques, comme sortis du cinéma de Leos Carax (cité d’ailleurs explicitement sur une affiche)
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Plaire, aimer… pourrait être grossièrement présenté comme le 120 bpm de 2018 : en effet, les similitudes sont nombreuses, tant dans les thèmes abordés que la tonalité choisie. Mais là où le premier se voulait un témoignage sociétal et militant, le film d’Honoré choisit la voie de traverse pour une incursion dans la mémoire intime. Si fresque il y a (le film dure tout de même 2h15), ce sera sur deux trajectoires vouées à s’étreindre sans pour autant fusionner. D’un côté, Arthur le jeune étudiant de Rennes (Lacoste, qui met sa nonchalance adolescente de côté pour un rôle souvent lumineux et insolent de jeunesse décomplexée), de l’autre, Jacques (Deladonchamps, parfait), un auteur parisien de 35 ans, séropositif et abimé par ses propres démons.
(la suite contient quelques spoils)
Entre eux, les beautés fulgurantes d’un couple : on commence par le jeu de la séduction (« Plaire ») notamment lors d’une très belle rencontre, cinématographique au possible lors d’une projection de La leçon de Piano. Aimer pose plus de difficultés, la distance aidant, et permet à Honoré d’explorer les deux vies, soit deux temps différents de destinées : l’un qui va s’émanciper de sa jeunesse pour monter à la capitale, l’autre pour qui la mort rode et qui va devoir solder les comptes.
Le film joue sur une partition délicate qui convoque tout le spectre émotionnel : la comédie est pétillante, et dit avec une grande justesse cette insouciance absolue et jouissive qu’est l’amour pour les êtres, aussi brisés soient-ils. Ainsi des sourires des mourants, dans une baignoire ou lors d’une soirée arrosée, de cet éloge d’un sexe solaire qui ne serait pas moins noble que les sentiments, et de la façon dont la jeunesse de l’un va ensoleiller le départ de l’autre.
À cette spontanéité répond la gravité d’une mémoire double : l’arrivée dans l’âge adulte pour Arthur est un élan vital qui va devoir, très tôt, faire avec la mort. Le lyrisme de Christophe Honoré, très musical (la BO parfaite des 90’s en ravira plus d’un), s’accompagne de lents mouvements de caméra, équilibrant les dialogues à bâtons rompus par des moments contemplatifs et mélancoliques. Alors qu’ils admettent que « c’est déjà trop tard pour mourir jeune », les mourants de la génération tentent de donner des airs de fêtes à leurs adieux, sans céder à l’idéalisme romantique. « Finir rêveur n’est pas dans mes plans », assène Jacques, qui prend la mort à bras le corps pour transformer la fatalité en geste choisi, au moment même où son jeune amant déploie ses ailes et quitte le giron de son enfance.
Tout est là, et reprend la dernière partie du programme annoncé, courir vite : quoiqu’il arrive, qu’on joue avec la mort ou l’amour, le désir ou la souffrance, les élans fulgurants du parcours auront donné raison à la vie.
(7.5/10)