Jia ZhangKe est assurément un cinéaste romantique, mais il est surtout le cinéaste de la Chine.
Dans un film aux tonalités naturalistes, presque balzaciennes, proche parfois aussi de Zola, Jia Zhangke arrive, comme à son habitude, à donner une incroyable vitalité à son oeuvre. Toute la Chine nous est contée ; les tensions sociales, la lutte politique, sociale à nouveau, un film se préoccupant également de la jeunesse chinoise, à la manière d’un Hou Hsiao-Hsien, mais avec une dimension beaucoup moins nostalgique, etc... Bref, Jia Zhangke nous propose un véritable portrait sociale d'une Chine qui souffre, notamment sa jeune population. Pour autant, les films de Jia ZhangKe ne sont jamais pessimistes, même s’ils traitent de sujet qui sont parfois d’une grande tristesse. Ses films font en tout cas partie de ses films profondément vivants. Et pourtant, malgré cette vitalité, les personnages ne semblent pas exister, ne semblent pas réussir à vivre. Et c'est en cela que cela m'a un peu rappelé Hou Hsiao-Hsien, notamment Poussières dans le vent, où toute la jeunesse taïwanaise semblait perdue, coincée dans un certain immobilisme du fait d’un manque de repères sociaux-historiques. Pialat le traite aussi dans Passe ton bac d’abord ; il nous montre une jeunesse déjà meurtrie par une vie monotone, meurtrie par un décalage profond entre ce qu’ils sont et ce que la société est. La jeunesse que nous montre Jia ZhangKe dans Plaisirs Inconnus est la même ; une jeunesse statique, qui ne sait avancer, une jeunesse écrasée. Et il nous le montre sans lourdeur. Jia ZhangKe semble fasciné par la danse ; dans tous les films que j’ai pu voir de lui, jusqu’à présent, il y a toujours des séquences de danse qui sont absolument magnifiques, parfois même érotiques. Il y a donc ce contraste fort entre un cinéma d’une extrême vitalité et une jeunesse en manque d’existence et en mal d'histoire. En cela, c’est peut-être l’une des oeuvres les plus dures de la filmographie du réalisateur, car dans des films tels que Les Éternels, ou Au-delà des montagnes, il y a toujours une forme d’espoir qui semble survoler les terribles histoires qui nous sont proposées. Ici, ces jeunes ne vivent justement pas de grandes histoires ; ils sont coincés dans un cycle interminable, duquel ils ne peuvent s’extirper. Car ici, il y a vraiment peu d’espoir. Jia ZhangKe nous expose une jeunesse mélancolique, dans un film qui lui n’est pas mélancolique, et là est toute la puissance du film.
Jia Zhangke s’exprimait ainsi à propos de son film : « En tant que réalisateur, il y a deux choses dont on ne peut pas faire l’économie : d’une part, conserver un lien intime avec la vie, ne cesser d’observer la société et les individus ; d’autre part, rechercher sa propre écriture cinématographiques. Plaisirs Inconnus m’a permis de faire une expérience particulière. La réalité de la vie des jeunes m’a inspiré une forme. Les longs plans-séquences conviennent parfaitement au côté figé de leur vie, ainsi qu’à leur silence. » Il résume absolument toute la portée de son film. Jia ZhangKe est un très grand réalisateur ; son oeuvre est unique, d’une grande intelligence et d’une rare véracité. Il s’impose à mon sens comme l’un des plus grands réalisateurs contemporains.
Ces jeunes attendent tous leur Godot. Ils sont tous Vladimir et Estragon, en attente du bonheur. Mais que feraient-ils, s’ils étaient contents, pour paraphraser Vladimir ? En attendant Godot, il y a les plaisirs inconnus. Mais Godot ne se montrera jamais...