De quelque manière qu’on l’envisage, en dépit de premiers retours critiques plutôt froids, Planetarium était le film de toutes les promesses : un sujet potentiellement captivant, une cinéaste talentueuse (si Belle Epine peinait à convaincre, Grand Central atteignait une ampleur tout à fait singulière), un casting trois étoiles, et le recours inédit à une caméra dernier cri (l’Alexa 65). Pourtant, ce parcours de deux sœurs mediums qui, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, quittent leur Amérique natale pour une tournée européenne, et qu’un producteur de cinéma animé des plus folles ambitions prend rapidement sous son aile, ne décolle jamais.
Si la narration apparaît à ce point vaporeuse, comme diluée, c’est parce qu’elle repose à la fois sur une dispersion thématique – Planetarium n’éclate pas sous un trop-plein qu’il ne parviendrait pas à résorber, mais n’acquiert jamais une unité, une dynamique propre – et une architecture hésitante : l’écriture se résume à une accumulation de scènes à peine esquissées, de petits blocs narratifs balbutiants, où tout s’enchaîne trop vite sans jamais prendre en ampleur, où chaque ellipse ne participe pas tant d’un mystère que de la confusion ambiante. Tout est fluide, mais d’une fluidité mécanique, monotone et désaffectée : les situations se font et se défont, sans que l’on ne s’y sente impliqué. Pour extirper son spectateur de l’ennui, la cinéaste s’en trouve réduite à des visions sans idées (les rares moments oniriques) ou des effets de suspense hors de propos (l'embarrassante scène de gémissements).
On voit bien le travail de résonance avec notre époque – de la crise d’une société, propice à l’exacerbation des tensions raciales (même la déchéance de nationalité est évoquée), à une industrie cinématographique engagée dans une ère de progrès technique (et dont Planetarium lui-même, en tant que premier film intégralement tourné avec l’Alexa 65, se fait l’écho) –, mais rien ne dépasse la statut de la référence appuyée, à l’instar de ces hommages cinéphiles peu inspirés qui parsèment le récit. En contrepoint, Zlotowski tente le pari audacieux du mélodrame, mais ce lyrisme que la musique de Rob ne cesse de clamer ne trouve jamais écho dans la chair de l’image. C’est comme si la cinéaste, mystifiée par les capacités exceptionnelles de sa caméra, en avait oublié de produire de l’incarnation, du liant, de sculpter des espaces et du temps, soit le propre de l’art cinématographique. En l’état, la forme est – c’est triste à dire du travail d’une personnalité au si fort tempérament – sans éclat ni caractère, sans identité en somme. En dépit d’attentes légitimes, l’image reste désespérément lisse, ployant sous une lumière sans texture ni vibration.
Cette idée magnifique de faire se télescoper puissances du faux – l’art cinématographique – et celles de l’invisible – les morts et leur possible présence spectrale – ne produit pas grand-chose, tant Zlotowski semble privilégier les premières aux secondes. Les fantômes ne sont convoqués que dans une dimension purement théorique : Planetarium n’est, à aucun moment, un film habité. Cette impuissance totale à filmer l’impalpable ne serait pas si prégnante si elle ne contredisait pas l’entièreté du projet. Comment une œuvre sur la croyance peut-elle offrir si peu à croire ? Ironiquement, une réponse potentielle est formulée par le film lui-même. Au début du récit, dans ce qui restera peut-être son plus beau moment (et le seul ouvertement nocturne, avec la scène finale), la plus jeune des soeurs s’interroge, en contemplant le ciel étoilé par la vitre d’un train filant à vive allure dans la nuit, sur l’impossibilité de percevoir les étoiles à la lumière du jour. Son aînée lui répond alors, en substance, que la clarté n’est pas toujours la meilleure manière de voir, et que l’obscurité aussi, à sa manière, révèle et dévoile. Rebecca Zlotowski n’applique jamais cette belle maxime : Planetarium néglige trop les puissances de l’ombre pour nous emporter dans son histoire de spectres et d’illusions.