Planetarium est le troisième film de Rebecca Zlotowski sorti au cinéma. Malgré un casting alléchant, réunissant des noms comme Nathalie Portman, Emmanuel Salinger et la débutante mais très sollicitée Lily-Rose Depp, le film a fait un four à sa sortie en salles, n’ayant réuni à l’heure actuelle que cinquante milles entrées environ. La critique, mitigée a jugé l’objet comme une production anecdotique, sans grande envergure, à l’esthétique balourde, flirtant avec le « mauvais goût ». Si Planetarium souffre de quelques maladresses narratives, comme l’ouverture sur le présent qui permet d’introduire le passé, un procédé déjà vu des centaines de fois, ainsi que des dialogues qui manquent de réalisme, les interrogations sur le cinéma, ce que l’on cherche à en faire et la psychologie des personnages valent le détour.
Nathalie Portman aurait elle-même proposé à Rebecca Zlotowski, pour le rôle de sa sœur dans Planétarium, Lily-Rose Depp, la plaçant sous sa protection à la fois à l’écran, comme sur le plateau de tournage. C’est dans cet emploi d’enfant évoluant en dehors de toute convention, en médium, émerveillée par le monde qui l’entoure, à la recherche d’une famille à l’apparente normalité que son jeu est le plus fascinant, tant il jure avec ce qu’un Humbert Humbert aurait qualifié de « nymphette ». Avec son visage curieusement adulte, qui marque le mélange entre deux grandes figures populaires des années quatre-vingt dix, Lily-Rose Depp a non seulement été appelée par la maison Chanel pour incarner sa dernière grande sortie (le n°5, l’Eau), comme sa mère en son temps incarnait Coco, mais elle est aussi plébiscitée malgré son jeune âge dans plusieurs projets cinématographiques où son statut de lolita est utilisé, avec plus ou moins de succès. Dans La Danseuse, de Stéphanie di Giusto, le traitement est littéral : objet de beaucoup de convoitises, elle joue avec les sentiments des uns, des autres, sans que cela n’apporte un quelconque intérêt au sujet. Dans Planétarium, l’emploi, plus subtil, participe d’une vision d’ensemble qui illustre ce que c’est que de vivre dans le passé. A contre-emploi de la vie d’une enfant star, où la belle montre ses soirées, ses défilés sur le tapis rouge sur Instagram, Kate, l’enfant medium, la montre dans une nostalgie perdue, celle de l’enfance. Rebecca Zlotowski ne se contente pas pour autant d’en faire une innocente, réfugiée dans un monde bien à elle, en dehors de celui des adultes.
Les frustrations de chaque personnage se nourrissent les unes les autres, chacun interagissant avec l’autre pour son intérêt propre, bien intentionné ou non. Là où Laura voit en Korben, joué par Salinger, une source de revenus financiers, un moyen d’assouvir ses ambitions personnelles, et par extension, une façon de rendre sa sœur heureuse, Kate, moins au fait des problèmes d’argent, en tire profit comme d’un père qu’elle n’a jamais eu, lui donnant tout ce qu’il désire, dans un rapport créé de toute pièce où s’interroge le lien humain, y compris la sexualité. Cette scène où Laura débarque, croyant que sa petite sœur et Korben couchent ensemble à cause des bruits qu’elle entend est fondamentale, car elle concentre en elle la représentation implacable de la jalousie d’une femme qui veut un homme qu’elle sait inatteignable, et que Zlotowski ne lui donnera jamais dans l’histoire, respectant à ce titre au passage une cohérence exemplaire. Elle démontre aussi que la jouissance, l’addiction à l’autre n’a pas besoin du sexe pour être formalisée, tout en n’en paraissant pas moins dérangeante, voire « dégoûtante ». Ici, l’apparence de nymphette de Lily-Rose Depp apparaît comme le catalyseur de l’envie de Laura, dont les besoins infinis de reconnaissance s’expriment dans son métier d’actrice, fraîchement acquis.
L’esthétique de Planetarium est différente de celle des films contemporains qui se targuent de reproduire l’ambiance d’une époque révolue, à grands coups de filtres grisonnants. L’or et le noir sont omniprésents, garants des années folles, plus que de l’avant-guerre, car, comme l’affirme Kate en préambule, « avant-guerre, nous ne savions pas que nous étions justement avant la guerre ». Tout le récit vient confirmer cette sentence : point de défilés de chars, ou de drapeaux nazis. On les perçoit, en hors-champ, par leur absence fondamentale, caractéristique de l’insouciance générale, qui va à la fin se transformer en abnégation, quand Korben ne réalise toujours pas que son statut de juif l’a rattrapé, jusqu’à faire de lui un paria nouveau-né. Et c'est là que s'enclenche un jeu de miroir, entre le cinéma qui pénètre par la caméra à son procès, où il crie désespéramment "ne me filmez pas", et ce réel constamment nié par un petit monde dont le chemin continue à la marge du réel.