Les années 50 représentent une époque à la fois lointaine et proche. Encore très traditionnelle, mais voyant d’un autre côté l’émergence du phénomène James Dean, symbole du jeune rebelle, c’est une période de changements dans la société, mais aussi au cinéma. Après des années 40 marquées par la guerre et un âge d’or du film noir, les années 50 ouvrent de nouvelles possibilités, représentées notamment par un film de science-fiction devenu culte : Planète Interdite.
Ce film ne parle pas forcément au grand public, sa postérité étant principalement indirecte, issue de films plus récents, et aussi parce que Planète Interdite n’est pas très ancré dans l’imaginaire commun. Pourtant, son intérêt n’en est pas moindre, loin de là, puisqu’il représente à la fois un film précurseur et un symbole d’une sorte de rupture culturelle entre le monde « d’avant » et celui « d’aujourd’hui ». Le postulat du film est classique pour un space opera, puisqu’il consiste en l’expédition d’astronautes sur une planète lointaine, en vue de retrouver les rescapés d’une mission précédente. Avec une ouverture semblable à celle du futur Alien, Planète Interdite s’annonce d’emblée comme un des premiers représentants d’un sous-genre de la science-fiction qui sera à l’origine de nombreux films cultes.
Des prémices avaient déjà été observés auparavant avec, par exemple, en 1950, Destination… Lune ! qui proposait un voyage sur le satellite de la Terre, en exposant une vision du voyage spatial et des conditions pour explorer d’autres planètes. Planète Interdite pousse la démarche encore plus loin avec un voyage sur une planète imaginaire et inconnue, avec ses propres paysages, une civilisation passée et disparue, ou encore une créature mystérieuse. Les personnages, relativement variés, offrent une palette de caractères alimentant l’intrigue, avec au centre, entre autres Robby le robot, symbole des progrès technologiques imaginés dans notre futur, et carrefour entre l’humain et la machine. La réalisation s’appuie donc sur l’exploitation des curiosités observées sur la planète, des décors variés et plein d’imagination, des effets spéciaux avancés, mais aussi une bande-originale entièrement composée à base de musique électronique, une première au cinéma, et surtout un autre symbole d’un changement d’époque avec l’émergence de ce nouveau type de musique.
Toutefois, le film n’a pas pour simple intérêt d’être un précurseur dans le sous-genre du space opera et d’offrir un sympathique retour dans le passé relativement kitsch et daté. Il cherche également à adresser des messages plus profonds et philosophiques, qui sont davantage représentatives de ce qu’est en réalité le film, c’est-à-dire une allégorie. En effet, Planète Interdite expose un récit philosophique sur l’Homme à travers le prisme freudien du « ça, moi, surmoi » où le tout se transforme donc en une allégorie de la nature humaine pour exposer les différentes facettes de la conscience. Le choix d’une planète lointaine et inconnue, donc supposée dangereuse, n’a ainsi pas pour simple objectif de poser le décor d’un space opera, mais notamment de placer les personnages dans un univers hostile et vierge où leur vraie nature se manifeste.
Ainsi, le choix du titre « Planète Interdite » ne suggère-t-il pas, en conséquence, que la conscience de chacun lui est propre et doit rester inaccessible ? Sans aller dévoiler plus en détail des éléments-clé du dénouement de l’intrigue, on peut supposer que cette hypothèse semble bien y trouver écho. C’est donc ainsi que Planète Interdite, film de science-fiction méconnu mais tout à fait novateur et complexe, obtient sa réputation, à la fois de film méconnu du grand public, et d’immanquable pour la communauté cinéphile. Représentant également une occasion de découvrir un Leslie Nielsen débutant, encore loin des Y a-t-il un pilote dans l’avion ?, il fait figure de curiosité du septième art et est à la hauteur de sa réputation.