Je me devais de faire une critique sur ce film, qui est une très bonne surprise. L'histoire de base paraît simple, presque simpliste : David, un ado mal à l'aise, un peu geek sur les bords, interprété par un Tobey Maguire n'ayant pas encore mué (non, je ne suis pas en train de faire une critique du premier Spiderman de Sam Raimi ), est un fan complet d'un sitcom des années cinquante, véritable caricature du bonheur d'une famille modèle de cette décennie. Sa sœur, Jennifer, campée par une Reese Witherspoon convaincante, est pour ainsi dire différente : elle est presque la reine du bal, entourée de ses copines, cherchant à plaire aux mecs du lycée et autre clichés. Par un concours de circonstances plus qu'improbable, les frère et sœur que tout oppose vont se retrouver projetés dans le sitcom des années cinquante, à Pleasantville, en noir et blanc. Très vite David, devenu Bud Parker (le fils de la famille modèle du sitcom) s'intègre dans ce "milieu" qu'il connait sur le bout des doigts, contrairement à sa sœur, devenue Mary Sue Parker, qui décide de faire bouger les choses en sautant sur le premier mec venu (l'emploi du verbe sauter est à prendre au sens littéral... ou figuré... les deux en fait).
Bon, jusqu'ici, on pourrait se dire que le scénario est bien joli, mais légèrement faiblard et caricatural. On ne peut pas nier ces faiblesses, elles existent, mais c'est sans compter sur la suite du film qui est juste démente. Pourquoi démente ? Parce qu'elle arrive à aborder de manière intelligente, racisme, passage à l'adolescence, ségrégation, réflexion sur l'art, l'ordre établi, le pouvoir des livres, l'absence de profondeur de -certaines émissions de- la télé et j'en oublie. Tout commence avec un simple jeu sur la couleur : les personnages du sitcom, sclérosés dans leur routine absconse, prennent conscience de la vacuité de leur vie suite aux révélations de Jennifer/Marie Sue et se "colorisent". David/Bud essaie d'abord de l'en empêcher, constatant que le monde de Pleasantville change suite aux actions de Jennifer, puis réalise que ce changement est nécessaire. Car oui, s'il se complaisait dans un univers qu'il connaissait par cœur, David prend lui aussi conscience qu'il n'y a aucun intérêt à connaître l'ensemble des choses à l'avance.
La thématique de l'éveil des consciences est symbolisée par l'apparition des couleurs, mais si ce n'était que cela, le film resterait dans la caricature quelque peu manichéenne. Une fois en couleurs, les personnes tendent à l'émancipation : la mère de David/Bud, Betty, ne veut plus rester dans sa cuisine pour préparer ce fameux pain de viande que son mari aime tant et dormir dans un lit qui ne ferra jamais plus de 95 centimètres de large, elle veut du sexe, oui du sexe, mais pas que (car elle est aux antipodes de la perversité) elle veut aussi de l'amour, de la tendresse, bref : elle veut être heureuse. Et c'est là la revendication de tous les personnages qui passent en couleurs : ils découvrent la peinture, le bonheur de l'imprévu, la pluie, et pour cela, ils vont être malmenés, mais, de manière "plaisante" par les citoyens restés en gris de Pleasantville. Car oui, si on fait des affiches dans les commerces contre les "colorés", que l'on vandalise un commerce et que l'on pratique les autodafés, on sait rester courtois à Pleasantville. Alors on organise le procès du peintre (l'amant de Betty, interprété par Jeff Daniels) et de Bud, sources de l'émancipation des masses. Le maire de la ville n'autorise aucun avocat, de sorte que le procès reste plaisant au possible. Mais Bud, par un habile maniement de la rhétorique, parvient à convaincre et dès lors changer, la plupart des gens présents au procès, même le maire, qui prend des couleurs pour l'occasion.
Si la fin est assez peu convaincante, que le scénario est parfois si mince qu'une simple flatulence de mouche le briserait, je suis tombé sous le charme de ce film qui a nombre d'autres qualités permettant de passer outre ses défauts. Je n'ai pas abordé la moitié des sujets évoqués dans ce film, ils le sont tous de manière intelligente et c'est sans aucun doute cela qui fait sa force. Mention spéciale au rôle de la musique dans l'émancipation (années cinquante, rock oblige) et par conséquent de la BO, parfois discrète, mais toujours splendide. Je recommande ce film, pour sa franchise, son intelligence et sa poésie.
N.B. : si l'eau de rose vous donne de l'urticaire au point de ressembler à un Gollum mal lavé, évitez de regarder ce film. Quand même.