Delon-Ronet-Laforêt + Rota + René Clément = classique du thriller du cinéma français

Mon cinquième western 2024, après « Le grand silence » : « Companeros », fable politique sur la place de l’homme dans la société, est ce western spaghetti délirant de Sergio Corbucci avec un trio tonitruant (Milian-Palance-Fernando Rey). Niveau musique, on a une petite balade flûtée accompagnée de cris d’harmonicas stridents qui en fait une partition mélancolique. Il y a également les envolées lyriques moriconiennes, prenant de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure que le récit avance, avec les chœurs chantant « ...vamos a matar, vamos a matar, companeros !... » qui nous emportent dans une révolution qui nous dépasse tous. Vive la révolution !

« Il était une fois la révolution », clôturant mon cycle W 2024, unique film de guerre de Sergio Leone, est LE western Zapata à voir de toute urgence (le premier représentant a été « El chuncho » de Damiano Damiani -déjà critiqué-) si ce n’est pas déjà fait. Un duo d’acteurs explosif (Rod Steiger-James Coburn) pour un monumental et mythique western italien. Niveau musical, on atteint la perfection, le sublime. Le thème « Sean, Sean, Sean » explore toutes les facettes de la musique moriconienne : flûte, harmonica, …sans oublier les envolées lyriques à nous envoûter et nous transportant corps et âmes. Une BO d’Ennio Morricone pur jus, inoxydable, inoubliable.


Maintenant, comment vous dire ? 2024 a été une année particulière, il n’y aura pas de programmation spéciale ‘polar de rentrée’. Il y aura plusieurs polars : « Plein soleil », « Borsalino »… . La raison ? Notre ‘Samouraï’ est décédé cet été, le 18/08/2024 (ce soir là, je déprogrammais un de mes westerns d’été pour « La piscine », hommage à notre dernier monstre sacré -un sacré duo d’acteurs Delon-Schneider, cette dernière une légende incommensurable du septième art- pour un excellent huis clos méditerranéen. Qu’aurais je pu faire de mieux ?).

En souhaitant une bonne rentrée cinéma à tous ceux qui me suivent (éclaireurs d’un soir ou de toujours, je vous offre, sur grand écran ou au cinéma, toutes les pistes d’émerveillement que vous voulez apprivoiser) et pris en flagrant délit delonienne bien que je sois davantage bébelien, je vous prie d’accepter pour honorer la mémoire du ‘Guépard’, une sélection de films retraçant la carrière de l’acteur d’exception de « Rocco et ses frères ».

Tout d’abord, un documentaire, puis « Plein soleil », « Mélodie en sous-sol », « Le guépard », « Borsalino », « Monsieur Klein » et enfin « Notre histoire » (film pour lequel Delon reçut le seul César de sa carrière !).


« Un jour, un destin, Alain Delon, la solitude d’un fauve » a donc été ma rentrée delonienne en la matière.

Un beau documentaire présentant un portrait intime de l’acteur qui est enterré au domaine de Douchy, propriété qui lui appartenait depuis une cinquantaine d’années.

On y entrevoit ses fêlures, ses instants de gloire, ses ‘pères’ de cinéma (Visconti, Melville) ainsi qu’une amitié avec une actrice de « La main au collet », Brigitte Auber.

A visionner donc, pour comprendre la personnalité et la carrière du réalisateur de « Pour la peau d’un flic ».


Avant de passer de l’autre côté de l’arène, avec pour point de départ « Plein soleil », j’ai fait ma rentrée cinéma avec « Beetlejuice Beetlejuice », suite bien meilleure que l’original pour ma part.

Rentrée burtonienne qui ne manque pas ...de jus ! Effets (spéciaux, visuels, costumes, animatroniques…) à l’ancienne -comme promis de la part du metteur en scène de « Batman »- détonnants à souhait, casting délirant (des petits nouveaux arrivent -Monica Bellucci, Jenna Ortega, Willem Dafoe- quand les anciens reprennent leurs rôles respectifs -Winona Ryder, Catherine O’Hara, Michael Keaton), univers fantasmagorique et fantastique exaltant (burtonien) doté d’un bestiaire savoureux couplé à une mise en scène ébouriffante à l’image d’un Michael Keaton qui s’en donne à cœur joie et à cœur ouvert (c’est le cas de le dire !), c’est un film qui se savoure à pleine dents : on ne va pas voir ce dernier Tim Burton pour la richesse du scénario mais bien pour l’univers et l’atmosphère créés par le cinéaste. Au passage, merci encore au compositeur burtonien Danny Elfman. Beetlejuice.

Et lorsque l’on va au-delà de l’au-delà, le metteur en scène de « Edward aux mains d’argent » et de « Alice au pays des merveilles » nous prend au piège et nous assène une leçon de cinéma que lui seul a l’art de maîtriser. Beetlejuice !



Maintenant, retour sur la piste Alain Delon avec « Plein soleil ».

Pour commencer, je peux vous dire que c’est la deuxième fois que je le vois : la première fois, c’était il y a quatre ans. Et je peux vous dire que le film n’a pas perdu de sa superbe depuis mon premier visionnage.

Il s’agit d’une adaptation du roman à succès de l’américaine Patricia Highsmith, « Monsieur Ripley » (publié en 1955), qui connut plusieurs suites littéraires.

« Plein soleil » a été la controverse de la Nouvelle Vague (‘l’anti-Truffaut’ par excellence), et la réponse du réalisateur René Clément à ce nouveau cinéma.


Ici, je ne vais pas vous parler de l’histoire ou du synopsis (vous allez le découvrir par vous même), tant les ressorts scénaristiques, très bien écrits !, sont jetés à l’eau, pieds et poings liés !

Le duo de scénaristes -Paul Gégauff (collaborateur chabrolien par excellence : « Les cousins », « A double tour », « L’œil du malin », « Le scandale », « Docteur Popaul »…) et le réalisateur lui-même- nous jouent un tour avec force et abnégation. Merci à eux.


Le générique de début m’a fait penser à « Arrête-moi si tu peux » de Steven Spielberg avec son côté cheap et libertaire.

Les caractères, écrits avec stylo plume, font un certain apanage, celui de tomber sur un voleur, un bandit élégant, un gentleman cambrioleur. Surtout avec cette ambiance libre donné par le ton de la musique de Nino Rota (je reviendrai sur ce point plus bas) qui nous est emballé par René Clément, le fils du décorateur Maurice Clément, qui nous convie sur une carte postale et les mains d’Alain Delon.

Maurice Binder (mondialement connu pour avoir créé les génériques de James Bond à partir de « Dr No » en 1962 jusqu’à « Permis de tuer » en 1989) donne un ton enjoué et sérieux sur « Plein soleil » par une conception générique altruiste, subtile et raffiné. Mais totalement cheap aujourd’hui.

En totale adéquation avec son époque, le générique fait aujourd’hui usé et démodé.


En découle un thriller maritime italien qui prend l’apparence d’une histoire criminelle.

Et pourtant, ce n’est pas un film criminel car il n’arbore pas l’essence du film criminel comme dans « Le crime de l’Orient express » (de Sidney Lumet), à savoir ne pas connaître l’identité de l’assassin.

Le réalisateur organise un petit jeu de massacre entre les protagonistes, le final en est d’autant plus troublant et intense (lorsque la barman appelle Monsieur Ripley).

Ce thriller se passe des artifices habituels, à savoir musique intense et atmosphère prenante.

Ici, tout s’organise dans les rues de Rome, dans l’euphorie générale, le début de « Plein soleil » peut en attester par ce début loufoque avec les deux personnages principaux (Ripley et Greanleef junior) qui abordent une dame en faisant croire qu’ils sont aveugles. Ainsi que certaines scènes qui peuvent apporter sourires à défaut de rire à foison (par exemple, la fameuse scène où Delon se promène sur un marché italien et voit une tête de poisson qui nous est présenté en gros plan : au final qu’est ce que cela va apporter au film ? Pas grand-chose, me direz vous, très chers spectateurs !).

Dans « Plein soleil », tout est ainsi prétexte à sourire jusqu’à un point de tension maximale sur le bateau avec l’affrontement Alain Delon (s’il se fait ici star et qu’il enchaîne l’année suivante « Rocco et ses frères » de Visconti, il prendra le temps de trouver un rôle crépusculaire avec « Le retour de Casanova » (avec Luchini) et « Une chance sur deux » (de Patrice Leconte). Heureusement, la série « Fabio Montale » le remettra en selle dans les 2000’s)-Maurice Ronet (fils de comédien, il fait ses débuts au cinéma sous la houlette de Jacques Becker puis de Louis Malle avec « Ascenseur pour l’échafaud » et « Le feu follet ». Suivront des réalisateurs de renom : Claude Autan-Lara, Decoin, Vadim, Chabrol, Deray, Lautner, Blier fils) où chaleur et coups bas, par un changement de ton radical, sont autant de coups de semonces où nous avons ici affaire, en pleine mer et sous une chaleur abrasante, au point d’orgue du film (duel d’acteurs Delon-Ronet au sommet), le tout filmé caméra à l’épaule par le metteur en scène primé à Cannes en 1946 pour « La bataille du rail ».

Belle leçon de cinéma que ce changement radical de mise en scène et de mise en abîme des personnages jusqu’à un point de non retour. Merci Monsieur le réalisateur !

René Clément nous embarque ensuite de plein gré dans les aventures de Tom Ripley et ne relâche pourtant jamais sa tension nerveuse qui ne se prend, pour autant, jamais au sérieuse à cause de cette ambiance chaude et salutaire sur les ports, marchés et bars italiens : il faut dire que l’embaumisation générale de la photographie d’Henri Decae (l’instigateur de la Nouvelle Vague sur pellicule -« Le beau Serge », « Les cousins », « Les 400 coups »- a appris le métier grâce à Melville sur « Le silence de la mer », « Les enfants terribles » et « Bob le flambeur » avant de participer à des films populaires : « Le corniaud », « Le clan des siciliens », « Rabbi Jacob », « Le coup du parapluie »...) ainsi que la musique de Nino Rota (crédité au générique Rotta)(s’il a été le collaborateur fellinien par excellence -« Le cheik blanc », « Les Vitelloni », « La strada », « Satyricon », « Amarcord »...-, on lui doit l’une des mélodies les plus cultes du cinéma, celle qu’il a créée pour « Le parrain » !) nous embarquent dans une aventure virevoltante au gré d’une palette de couleurs scintillantes et lumineuses à souhait appuyées d’une bande-son pleine de bons sentiments, salutaire voir même libertaire (comment ne pas penser aux « Moulins de mon cœur » de Michel Legrand qu’il a lui même composé pour « L’affaire Thomas Crown » pourtant sorti huit ans plus tard ? Tout simplement, on ne peut pas !).

Cette ambiance nous réchauffe les cœurs et fait de « Plein soleil » un hymne de liberté sous un faux air de thriller sulfureux que nous concocte le réalisateur de « Monsieur Ripois » et « Quelle joie de vivre ».

Ou quand le metteur en scène du dessin animé « César chez les gaulois » (premier film de René Clément !) fabrique un extraordinaire thriller méditerranéen dans toute sa splendeur et sa poésie, ce que fera en mieux Jacques Deray neuf ans plus tard avec le puissant huis-clos « La piscine » (dans lequel le non moins célèbre compositeur Michel Legrand apportera son expertise musicale ...et Delon son sulfureux savoir-faire !).


Le casting convoqué pour « Plein soleil » est aujourd’hui d’anthologie car reposant sur un trio pas encore star. Et un premier rôle qui n’aurait jamais dû être premier rôle. Merci à René Clément d’avoir mis en lumière notre monstre sacré comme jamais !

Alain Delon, tête d’affiche et parfait inconnu de la profession, à seulement 25 ans !!, est tout simplement parfait en beauté du diable. Le lion de « Plein soleil » donne une interprétation sans fausse note de Tom Ripley, ange de la mort vénéneux et envieux. Usurpateur élégant et calculateur digne d’un Kevin Spacey d’aujourd’hui (comment ne pas penser à « Usual suspects » ?). Un magnétisme élégant nous procurant chaleur et donc forcément la classe à la française. Une gueule d’ange, un rôle impeccable. Du sur mesure. Perfecto !

Maurice Ronet, quant à lui (Greanleaf junior), est le double d’Alain Delon. Lui aussi incarne la classe à la française malheureusement détrôné par le brillant magnétisme d’un Delon face caméra.

Marie Laforêt (son premier grand rôle au cinéma qui lui permet de jouer dans « La fille aux yeux d’or », « Flic et voyou », « Les morfalous », « Le pactole » de Mocky, a également été chanteuse), 19 ans seulement sur le tournage !, est cette beauté froide et glaciale qui fait avancer le récit ainsi que les ressorts dramatiques de « Plein soleil ». Elle illumine de ses yeux sa beauté fragile et en fait une belle victime (une Marge impériale) prise au piège. Très beau rôle de composition de sa part.

Avec également la présence d’une figurante nommée Romy Schneider qu’on reconnaît la main dans le sac alors qu’elle n’a qu’une ligne de dialogue et deux minutes à l’écran !! Si Visconti lui propose un rôle sur les planches aux côtés d’Alain Delon (« Dommage qu’elle soit une putain ») en 1961, Romy a connue une ascension fulgurante à l’international : « Quoi de neuf Pussycat » (avec Woody Allen) et « Le procès » d’Orson Welles aux Etats-Unis, « La piscine » en France, « Ludwig ou le crépuscule des dieux » (toujours de Visconti !) en Italie -et pas que !-, la Bellissima reçoit également deux César, l’un pour « L’important, c’est d’aimer », et l’autre pour « Une histoire simple ». Quelle carrière et quelle mythe !!

Des gueules d’ange pour une direction d’acteurs impeccable, classe et soyeuse de la part du réalisateur de « Gervaise ». Du sur-mesure parfaitement interprété excellemment dirigé par le membre fondateur de l’IDHEC de nous faire part de son expertise : merci Monsieur Clément.


Pour conclure, « Plein soleil »(1960), est un petit thriller obsessionnel italo-français sur la quête identitaire et les faux-semblants signé et soigné par le réalisateur de « Jeux interdits », « Les félins » et « Paris brûle-t-il » (René Clément), le maître du thriller du cinéma français (considéré par la critique comme le ‘Rossellini français’).

Un beau thriller français des 60’s totalement cheap à souhait.

Thriller méditerranéen français de référence dominé par le trio Delon-Ronet-Laforêt pour un classique du cinéma français.


Accord parental souhaitable.


Spectateurs, Alain pour un jour, Delon pour toujours ! ...et à jamais !


PS : « Plein soleil » a connu un remake, le film américain « Le talentueux Monsieur Ripley » d’Anthony Minghella avec le trio Matt Damon-Jude Law-Gwyneth Paltrow.

brunodinah
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le 26 sept. 2024

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