Ressortir en 2020 un documentaire datant de 1980 ne manque pas de panache. S’inscrivant à la confluence du local et du lointain, du familial, voire de l’intime, et de l’universel, l’entreprise ne peut que séduire. En février 1980, lorsque les habitants de Plogoff, déjà vent debout depuis 1978, se mobilisent pour repousser le projet d’implantation d’une centrale nucléaire dans la baie d’Audierne, à proximité de leur village et de la Pointe du Raz, le couple Le Garrec réagit en voisin, conscient d’être témoin d’une lutte qui fera date. Pour suivre au plus près les événements, Nicole et Félix Le Garrec s’installent à Plogoff même, hébergés par une habitante, et s’endettent, allant jusqu’à hypothéquer leur propre maison, pour acheter de la pellicule. Les luttes, ils connaissent, puisque Félix, photographe de son état à Plonéour-Lanvern, était à l’image dans le magnifique film de René Vautier, « Avoir 20 ans dans les Aurès » (1972), sur lequel Nicole était script. Une expérience qui scelle une solide amitié entre les trois cinéastes, fondateurs de l’UPCB, l’Unité de Production de Cinéma en Bretagne.


Habitués à documenter les événements marquants de leur terre bretonne (les premières écoles Diwann en 1977, le naufrage de l’Amoco Cadiz et la marée noire qui s’en est suivie en 1978...), Nicole, à la réalisation, et Félix, à l’image, accompagnés de Jakez Bernard au son, recueillent ainsi, tantôt du côté des forces de l’ordre, plus souvent du côté des manifestants, parfois encore depuis un point de vue tiers, plus éloigné, les images des heurts qui ne tardèrent pas à se produire entre des CRS, puis des parachutistes, de plus en plus armés, et des habitants, de tous âges et de tous sexes, eux aussi de plus en plus équipés, mais d’armes artisanales, telles les frondes, parfois brandies comme des crucifix par les Bretonnes en colère, lançant leurs anathèmes, pendant que les hommes, davantage dans l’action immédiate, propulsent des pierres. Avant les heurts physiques, les interpellations, puis les manifestations à Pont Croix pour tenter d’obtenir la libération des « camarades », la parole a la part belle, celle confiée par les femmes ou les hommes, dans l’intimité sombre des maisons ou sur les chemins venteux ; celle par laquelle les femmes, également mères ou grands-mères, tentent de fléchir les forces de l’ordre, amenant souvent les jeunes gardes mobiles à « craquer », ce qui nécessite alors leur relève et suscite la fierté des harangueuses.


En 2020, à l’heure de nouvelles luttes mais aussi de divisions sans fin et d’union en apparence impossible, on se prend de nostalgie devant ce combat incroyablement unitaire - au- delà même du régionalisme, puisque le Larzac vint souvent prêter main-forte et faire nombre - et si joyeusement inventif. L’impossible est déployé pour insulariser Plogoff et rendre le site inaccessible aux envoyés de l’Etat, selon le vœu de l’une des meneuses : « Il faut que Plogoff soit une île et qu’on ne les voie plus sur nos terres ». Une stratégie défensive qui entrait en action chaque nuit, entravant, au matin, le retour des autorités... Jusqu’au succès de ces Capistes, enfin acté au mois de mai.


Aujourd’hui, c’est sous l’impulsion de deux « filles de », Pascale Le Garrec, journaliste à Ouest-France, et Moïra Chappedelaine-Vautier, productrice, que le film a l’opportunité de se voir restauré et de nouveau produit et distribué, cette fois par Ciaofilm et Next Film.

AnneSchneider
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le 11 févr. 2020

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6

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