I, human
C'est parfois statique, très souvent ironique, quelquefois un peu trop appuyé. Mais ça m'a fait penser (sans atteindre tout à fait le même niveau) à la magnifique série documentaire Corpus Christi...
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le 15 juin 2011
Cette plongée dans les laboratoires des créateurs d'intelligence artificielle fascine autant qu'elle inquiète, tant elle soulève de questions éthiques et fait miroiter un futur déshumanisé.
Car ce qui se dégage de ce film est que la majorité de ces pionniers participent tous, sans pour autant que ce soit vraiment voulu ou conscient, d'une sorte de nouvelle religion faisant gloire du progrès technologique, rejetant les carcans de l'évolution biologique naturelle au profit de la promesse d'une vie éternelle, fusionnant l'homme et la machine. D'après ces experts, notre avenir verra donc des robots faire le ménage, s'occuper des enfants, apporter des soins aux personnes âgées, nous soigner (grâce aux nanotechnologies)... et même faire la guerre. Pour ce dernier point, d'ailleurs, c'est déjà presque une réalité présente, tant l'armée est le premier investisseur dans les recherches en nouvelles technologies.
Et c'est ce point qui inquiète le plus Joseph Weizenbaum, ex-mathématicien allemand et personne la plus présente à l'écran dans ce film. Il fut lui aussi un pionnier de l'informatique (inventant notamment le programme « parlant » ELIZA en 1966), mais il a passé la deuxième partie de sa vie à combattre ses déboires, dues notamment à une foi aveugle et sans limite de la société pour le progrès technologique, poussant parfois à commettre les pires atrocités en son nom. « La guerre ne pourrait pas exister aujourd'hui s'il n'y avait pas la capacité de la mener à distance », note-t-il par exemple. Il critique ainsi le mythe répandu d'une indépendance de la science par rapport à la société et à ses valeurs. Selon lui, chaque individu, en particulier les scientifiques, est responsable de la promotion d'un monde plus juste, plus humaniste.
Weizenbaum détonne ainsi complètement par rapport à ses collègues, questionnant également le discours dominant à propos de l'intelligence artificielle, ainsi que les questions éthiques qu'elle pose à l'humanité. Le scientifique allemand nous prévient que plus nous accorderons de responsabilités aux ordinateurs, plus notre perception de l'humain sera changée : nous finirons par nous considérer comme de simples machines. Le tout est dit avec autant de sagesse que d'humour, comme l'illustre par exemple ce moment improvisé où Weizenbaum tente d'allumer son ordinateur sans succès, se trouvant du coup en situation d'attente dépendante de la technologie...
Même si le film ne prend jamais ouvertement parti, donnant la parole autant à un « camp » qu'à un autre, et insistant aussi sur les côtés dits bénéfiques des nouvelles technologies (tout en créant de nombreuses « plages de respiration » permettant de réfléchir à tout ce qui vient d'être montré), la balance penche tout de même plutôt du côté du scepticisme et de la remise en question. Parfois, certaines séquences mettant en scène les défenseurs de l'informatique sont d'ailleurs montées de manière à créer de l'ironie ou de la peur (à l'aide même de musiques quelquefois), et le film est entrecoupé de passages où un commentaire écrit vient énoncer des faits potentiellement inquiétants (sur les liens entre l'armée et la recherche par exemple), sans toutefois ne jamais citer de sources...
Le film se conclut après le décès de Weizenbaum, arrivé pendant le tournage du film. On peut ainsi y voir une conclusion pessimiste du réalisateur Jens Schanze, puisque l'un des plus fervents questionneurs du progrès informatique n'est plus là pour freiner sa course effreinée vers l'avant ; mais on peut aussi, avec Weizenbaum lui-même, y voir un rappel de notre condition d'homme, biologique et donc mortel – au moins pour quelques temps encore... Et ce rappel n'est pour lui pas triste : farouchement opposé à la folie des grandeurs de ses contemporains, il trouvait ainsi souvent son réconfort en écoutant Bach, en particulier son Komm süsser Tod : « Viens, douce mort »...
Le film amène également ainsi à se poser des questions politiques : que faire face à ce qui ressemble étrangement à une sorte de « gouvernance invisible scientiste » prônant une amélioration rationaliste de l'homme (dont le slogan pourrait être « rendons l'homme meilleur pour son bien, qu'il le veuille ou non ») ? Comme le résumaient Adorno et Horkheimer, le pouvoir est toujours du côté de ceux qui ont la technique. Et plus la technique est puissante, plus grand est le pouvoir...
Mais la majorité des questions soulevées par le film sont davantage d'ordre métaphysique, dépassant la question de la bonté ou non du progrès pour discuter de l'interrogation fondamentale que pose (et que tente de résoudre) la question de l'intelligence artificielle : qu'est-ce que l'homme ? Qu'est-ce qui fait notre humanité ? Sommes-nous des machines cartésiennes extrêmement complexes ou est-ce que nos sentiments et nos désirs ne seront jamais rationalisables ?
Au final, ce réinvestissement des questions technologiques par des questions philosophiques est un juste retour des choses quand on sait que l'idée même d'intelligence artificielle, c'est à dire en fin de compte l'idée que la pensée puisse être réduite à une série de chiffres, a été conçue en premier lieu par... des philosophes (parmi lesquels Hobbes ou Leibniz).
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Créée
le 17 févr. 2012
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