"Comment peux-tu aimer une merde pareille?"


Le cas Philippe Clair est surement l'un des plus interessants et iconoclastes du cinéma comique français. Philippe Clair, c'est d'abord et avant tout un style unique dans l'Histoire de notre cinéma populaire. Sa signature est reconnaissable entre mille : mélanger l'humour pied-noir à des gags burlesques, avez-vous déjà vu ça ailleurs ? Le burlesque, on connait. Quant à l'humour pied-noir signé Philippe Clair, je le définierai comme un comique porté sur l'amour de l'emphase, de la faconde exhubérante, de la maltraitance d'expressions françaises et d'un attrait significatif des hommes envers la gente féminine. Un humour solaire, chantre d'une ère patriarcale surannée.
Le cinéma de Philippe Clair est donc absolument atypique et me fascine profondément. Cette griffe, souvent imitée mais jamais égalée, le distingue nettement des autres cinéastes avec lesquels on le confond souvent comme Richard Balducci ou Michel Vocoret par exemple (je ne cite pas Max Pécas car lui aussi a une signature reconnaissable entre mille). Ma fascination est également excitée par le côté jusqu'auboutiste de ce cinéaste n'ayant jamais fait dans la demi-mesure. Au départ comédien, Philippe Clair rayonnait, débordait d'idées et d'énergie, montait des spectacles comiques pour se donner des premiers rôles qu'on ne lui donnait pas dans le circuit classique. Il enregistrait des sketches commercialisés en vinyles puis il écrivit, réalisa et interpréta des long-métrages de comédie.
Malgré les nombreux quolibets des "professionnels de la profession", Clair parvient à passer outre, poussé par une rage comique qui le fait déplacer des montagnes. Vivant pléthore de malheurs et de nombreuses galères, il parvient cependant toujours à s'en sortir. À chaque fois qu'il amorce un nouveau projet, il doit se battre comme un chien pour les concrétiser, devant faire face à des producteurs tantôt dédaigneux, tantôt escrocs, voire même souvent les deux. Ce qui fait qu'à chaque fois qu'il tourne un film, Philippe Clair le fait comme si c'était le dernier. Il y met toute son énergie, tout le soleil qu'il a dans le coeur. Ses films sont ainsi d'une générosité débordante. En son humour, il a une confiance inébranlable, une véritable foi. Je l'ai rencontré un jour et j'en ai profité pour lui demander ses références en matière de comédie, ses sources d'inspiration, ses maîtres. Ce à quoi il m'a répondu tout de go, avec sérieux : "Moi-même". J'ai alors essayé d'insister ainsi: "Même pas les films muets à la Buster Keaton, les Mack Sennett...?" - "Non je vous jure, c'est vraiment ma connerie, mon talent seul pour trouver mes gags".
Clair a donc aussi un côté agaçant. Un manque de modestie en forme de self-defense vis à vis de ce que la critique et la profession lui ont fait subir toute sa vie. Pourtant, il est difficile de ne pas constater que tous ses films souffrent d'une mise en scène maladroite, de scénarii toujours inaboutis et de beaucoup de gags manquant cruellement de finesse. Cependant, il est tellement investi, habité par sa créativité délirante et débordante qu'il avance tel un rouleau compresseur avec la vitesse d'une Ferrari. Donc, bien que ses films soient objectivement mauvais, ils sont néanmoins spontanés, témoignent d'une rare sincérité et d'une insouciance qui me ravissent. C'est cet amour qu'il éprouve envers son art et son besoin d'amuser le grand public qui me touche énormément. Des mauvaises comédies, encore aujourd'hui, il en sort tous les mois. Mais ce sont le plus souvent des produits aseptisés, sans odeur, formatés pour endormir sagement les (télé)spectateurs. Philippe Clair, lui, propose un cinéma d'auteur généreux. Chacune de ses comédies est une avalanche ininterrompue de situations comiques. Ratées ou non, à vous de juger, on ne peut cependant nier leur richesse. Le rythme est alerte, quasiment chaque plan regorge (ou dégorge) de gags visuels ou de punchlines sans queue ni tête... Les films de Philippe Clair sont indéniablement copieux. "Plus beau que moi, tu meurs" l'est d'autant plus car Philippe Clair dispose ici de l'un des plus gros budgets de sa carrière grâce au succès de son film précédent, "Tais-toi quand tu parles", après une longue traversée du désert. Philippe Clair est donc gonflé à bloc, absolument sûr de lui-même et il dégaine l'artillerie lourde.
Humour grivois, répliques nonsensiques, plantureuses et potiches créatures, gags visuels tous droits sortis d'une BD, caractérisation puérile de l'homosexualité, cabotinage des comédiens, notamment ceux tenant les rôles secondaires. Ah... Parlons-en des comédiens... Ils en font ici des caisses mais des caisses... Et c'est absolument irrésistible car les acteurs s'amusent. Ils sont au soleil, ils cachetonnent et savent pertinemment qu'ils tournent une connerie qu'ils ne pourront jamais sauver. Mais poussés par l'enthousiasme et l'amour de Philippe Clair, ils lâchent prise et s'amusent comme des fous. Ils fonçent tête baissée dans l'univers de Philippe Clair, ils donnent tout et le plaisir est communicatif.
Quant au personnage principal, il est interprété par l'inénarrable Aldo Maccione. Ah, Aldo Macionne... Je vous parle d'une star que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître... Maccione, en ce temps là, faisait rire des millions de spectateurs en se trimballant toujours le même rôle de séducteur à la gomme, usant jusqu'à la corde sa fameuse démarche, de film en film, qui fît date dans l'inconscient populaire français. Toujours est-il que ce n'est pas Aldo Maccione qui fait rire mais les gags que lui inventent Philippe Clair, qui joue d'ailleurs brillament à ses côtés.
"Plus beau que moi, tu meurs", c'est un film aussi stupide qu'irrésistible, aussi nul que jubilatoire, aussi ringard que solaire. C'est une comédie d'auteur, sincère, qui t'ouvre grand les bras et t'emporte avec elle à grands coup de taloches sur les épaules et te postillonne bien fort dans les oreilles pour t'emmener rire et faire la fête. C'est donc maladroit mais si bourré de bonnes intentions que "Plus beau que toi, tu meurs" en devient attendrissant. J'ai découvert ce long-métrage via un enregistrement vhs sur TF1 datant du début des années 90, coupé en son milieu par les pubs de l'époque. Le visionnage a donc pris l'allure d'un voyage dans le temps assez agréable, où l'on découvre de quoi pouvions-nous rire avant, en prime-time, sans se prendre la tête... Voila comment puis-je aimer "une merde pareille". La sincérité de son auteur, le cabotinage délicieux des acteurs et la générosité des gags de cette comédie méditerranéenne me réjouissent. Cette comédie me fait rire au premier degré et il faut la prendre comme tel. Le Paris des eighties qu'on y retrouve est sensationnel, le soleil de la Tunisie nous en met plein les mirettes... Les dialogues sont jubilatoires et parfaitement stupides :
"Ça fait 20 ans que je t'ai pas écrit, pourquoi tu m'as jamais répondu ?"
"Je m'appelle Ula" - (il lui répond, en matant ses seins :) "Oulala !"
"Prosper, les secrétaires derrière"
"Vous avez du café glacé ? Vous m'en réchauffez une tasse"
"La classe... Milliardaire, y peut même pas s'payer l'hôtel, y préfère venir faire le tchaklala chez les autres... Coiffeur plongeur diplômé dans le dévergondage !"
On appréciera également l'auto-citation de l'auteur (motif récurrent de son oeuvre) quand Aldo crie à Prosper : "Tais-toi quand tu parles !"
Sans parler des gags éhontés (avec une mention spéciale pour les bruitages cartoonesques des baffes qu'Aldo se prend quand il harcèle une femme), le principe du double rôle opposant un frère curé à son jumeau maléfique qui nous rappelle le cinéma d'antan de Couzinet, sa musique kitschissime (la chanson du générique est interprétée par Maccione) la photographie rayonnante... Et puis la folie même du film, où tout est permis. J'en suis amoureux et c'est comme ça. C'est une comédie méditerranéenne comme on en fait plus et je le regrette. Un style où les accents italiens, marseillais et pieds-noirs se confrontent avec malice... Ce long-métrage est une fête. On est là plutôt en fin de banquet mais pourquoi bouder son plaisir ? C'est une comédie qui procure des plaisirs primitifs, à vous de vous laisser aller ou non. À mon avis, c'est le film le plus "regardable" pour un non initié de Philippe Clair. Dans tous les cas, "Plus beau que moi tu meurs" est une pièce maîtresse de tout ce qu'une comédie nanarde française réussie des années 80 pouvait nous offrir à l'époque.

ThibaultDecoster
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le 13 juil. 2019

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