C’est un jeune homme dans un joli costume blanc, et dans ses bras il tient un tout petit chien blanc, et il pendouille au bout d’une corde sous un réverbère dans la nuit de Santiago, Chili. Devant l’université de la ville, plus précisément. Son père voulait qu’il devienne architecte, mais lui ne voulait pas. Poesia sin fin ne parle pas de ce jeune homme dans un joli costume blanc, mais il pourrait. Peut-être. Personne ne le saura jamais. Poesia sin fin est un film d’Alejandro Jodorowsky sur Alejandro Jodorowsky adolescent, Alejandrito comme sa mère l’appelait dans la Danse de la réalité.


C’est dans un petit bateau violet qu’Alejandrito quittait avec ses parents le Tocopilla coloré de son enfance, c’est dans un petit bateau violet qu’Alejandro quittera le morne Santiago de son adolescence. Seul, cette fois.


Entre ces deux petits bateaux violets qui s’éloignent doucement dans l’océan de la vie, jusqu’à disparaître au loin dans une grande feuille blanche, futur vierge inconnu, Jodorowsky continue de nous conter son histoire pour en faire une légende universelle, un hymne à la poésie et à l’amour et à la poursuite des rêves et à la puissance de l’imagination et à la beauté de la vie dans un monde qui a perdu un peu de tout ses ingrédients fondamentaux. Un monde où la place accordée à la poésie et l’amour et aux rêves et à l’imagination s’amenuise petit à petit, où ils disparaissent lentement. Un monde où la beauté de la vie n’est plus célébrée, où elle semble même avoir était oubliée.


Entre ces deux petits bateaux violets qui marquent les différents tableaux de sa vie, Alejandro quitte la moustache sévère de son père et l’énorme poitrine surprotectrice de sa mère pour se donner à la poésie. Dans ce monde peuplé par une masse sans visage, où la foule avance masquée, où tout le monde porte un masque identique figé dans une absence d’expression, il refuse d’être celui que les autres veulent qu’il soit. Il refuse de devenir le médecin que sa famille juive voudrait qu’il devienne, que son père stalinien voudrait qu’il soit, pour poursuivre ses rêves. Pour se plonger dans la poésie. Même s’il doit couper son propre arbre généalogique pour y arriver. Même s’il doit quitter ses amis qui le supplient de rester. Même s’il doit plonger vers l’inconnu.


Entre ces deux petits bateaux violets dans lequel il navigue maintenant tout seul vers un ailleurs lointain, Alejandro fait tout pour retirer le masque qui recouvre son visage pour devenir celui qu’il est vraiment, celui qui se trouve au plus profond de lui. Et il incite tous ceux présents dans la salle à faire la même chose, à suivre cet exemple, et il veut avant tout transmettre ce message finalement si simple mais tellement essentiel. Alors il livre un témoignage puissant d’émotions brutes dans un grand festival de couleurs et de formes et de personnages et de lieux et de seins et de sexes et de nains et de balafrés et de clowns et de costumes et de symboles et de métaphores dans un torrent bouillonnant de trouvailles visuelles et d’inventivités illuminées.


Jusqu’à devenir un merveilleux papillon, un être de lumière flottant au-dessus d’un carnaval de musique et de couleurs.

Clode
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le 6 oct. 2016

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