En 1964, la Columbia sort deux films basés sur le même postulat : une attaque nucléaire non désirée de l’un des deux blocs sur l’autre, durant la Guerre Froide – la psychose de la crise des missiles de Cuba n’est pas loin. Si le « Docteur Folamour » de Kubrick prend le parti de l’absurde et de l’humour, Sidney Lumet traite le sujet avec réalisme et crédibilité.


Au cours d’une procédure routinière, les communications radio d’un groupe de bombardiers stratégiques américain sont brouillées, et celui-ci reçoit automatiquement ses ordres de mission : frapper Moscou du feu nucléaire. La procédure est initialisée… sauf qu’il s’agit d’une erreur électronique.


Dès lors, toute l’énergie de l’état-major et du gouvernement américains est consacrée à prévenir la catastrophe qui s’annonce.


Sur cette idée de base d’une simplicité effrayante, Sidney Lumet nous propose un thriller psychologique d’une intensité rare, et nous emmène au plus haut niveau du commandement militaire et politique. L’action se concentre sur trois huis-clos, la ‘war room’ du Pentagone, où le nouveau secrétaire de la défense préside une réunion de l’état-major ; le centre névralgique de l’armée de l’air, dans le Nebraska ; et enfin le cabinet du ‘téléphone rouge’ où le Président peut entrer en contact avec son homologue soviétique.


Le réalisateur prend le parti d’une légère anticipation technologique ; et certains détails (la connaissance de la position des sous-marins, par exemple) sont discutables. Néanmoins, les moyens et techniques dépeints sont d’un réalisme et d’une crédibilité rares, que n’aurait pas reniés un Tom Clancy.


« Fail Safe » pose alors la question : comment réagir en cas d’erreur de ce genre ? Et nous propose un scénario d’une immense richesse tant les thèmes traités sont variés, utilisant judicieusement la paranoïa ambiante de l’époque, et la psychose que peut causer une défaillance machine.
En effet, si les machines se sont trompées une fois, comment s’assurer de l’exactitude des nouvelles informations ? Comment être certains d’être responsable d’une horrible erreur – et non d’être victime d’une terrifiante machination du camp adverse qui aurait acquis un avantage technique décisif ? Comment empêcher un scénario que l’on a soi-même conçu pour être inexorable ? Comment faire confiance à son interlocuteur – l’ennemi – alors que la technique permet même de simuler des voix connues ?


Jouant habilement sur la psychologie de l’individu, Lumet développe un scénario où l’issue s’annonce de plus en plus atroce, nous mettant face à l’horreur dans sa forme la plus nue, qui se résout finalement à envisager le sacrifice d’un certain nombre d’individus pour en sauver un plus grand nombre encore.


Lumet confine l’action dans trois lieux exigus, et fait porter son film par des acteurs excellents, qui, plus que des personnages, incarnent davantage des fonctions et des idéologies. On assiste par exemple à l’opposition d’un général, convaincu que l’erreur est américaine, et de son second, un colonel torturé par l’idée d’une manipulation soviétique et d’une catastrophe imminente. La même dualité se retrouve dans la salle de guerre avec l’opposition du personnage de Walter Mathau – qui a des goûts contestables en matière de femmes, lorsque l’on voit qui il rejette – convaincu de la nécessité de profiter de l’occasion pour attaquer, et du général Black, partisan d’un désarmement.


Le coup de maître de Lumet, outre sa crédibilité immense et son traitement incroyablement exhaustif de tous les aspects de la crise, consiste à poser la question de l’interaction de l’homme et de la machine. Dans quelle mesure faut-il confier des tâches cruciales à l’ordinateur, sachant que celui-ci analyse et réagit trop rapidement pour qu’il soit possible d’intervenir ? Une question particulièrement d’actualité, presque cinquante ans plus tard, alors que les algorithmes d’apprentissage automatique et d’intelligence artificielle n’ont jamais été aussi perfectionnés.

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le 22 mai 2015

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Aramis

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