Ou quand l'enfer est pavé de bonnes intentions...
Pola X reste probablement le film de Leos Carax le plus libre et le plus brillant, et certainement le plus mésestimé de sa courte et prestigieuse carrière. Loin de la vitalité et des couleurs tranchées de ses premiers films ce quatrième long métrage reste un poème baudelairien pratiquement renversant sur le plan purement technique : virtuosité de la caméra, très mobile et caressante, épousant l'étrange démarche du mystérieux Pierre Valombreuse ( Feu Guillaume Depardieu, dans son plus beau rôle ) ; travail remarquable sur la pénombre et les éclairages nocturnes, conjugués à une bande-son proche du prodige. Musique de Scott Walker au diapason d'une imagerie superbe, hybride, tour à tour pure et impure, fastueuse et bohémienne, claire-obscure...
La réalisation de Carax, redoutablement aboutie, multiplie les morceaux de bravoure : le plan aérien introduisant le drame reste un tour de force cinématographique, présentant de manière étonnante la relation incestueuse liant Pierre à sa mère ( Catherine Deneuve, cinégénique en diable ). On devine l'amusement du regard porté par le cinéaste sur toute cette consanguinité du cinéma français durant la première demi-heure, à la fois resplendissante et hautement parodique... S'ensuit l'apparition de la figure onirique de la médiévale Katerina Golubeva, étrange femme constituant l'élément déclencheur de cette surprenante descente aux enfers, inaugurée par un long monologue extérieur-nuit. Viennent alors les heurts, les boitements et la lente déchéance de Pierre Valombreuse, tiraillé entre ses anciens proches et sa nouvelle famille, sa verve châtiée et sa logorrhée délirante, sa lumière et son ombre...
Plastiquement passionnant, narrativement atypique Pola X fut pourtant cruellement descendu en flammes par la critique et le public lors de sa sortie en 1999, probablement en raison de sa radicalité et de l'exigence requise par Leos Carax... Le film montre ni plus ni moins un parcours, se refusant à expliquer - ou du moins démontrer - quoi que ce soit d'autre que ce qui se déroule sous nos yeux. Un film jouant magnifiquement sur les contrastes et la symbolique, à réhabiliter impérativement. Rare et grandiose.