Malgré le manichéisme un peu balourd dans lequel il est empêtré et dont il aura bien du mal à s'extraire, "The Border" est un étonnant film de la part du réalisateur britannique Tony Richardson ("La Solitude du coureur de fond" et surtout le magnifique "Mademoiselle"), auteur londonien éminent du Free cinema dans les années 60 et ici, au début des années 80, cinéaste limite moralisateur sur l'émigration à la frontière américano-mexicaine.
Le trait est un peu lourd, à de nombreuses reprises, pour faire le portrait de ce personnage flic interprété par Jack Nicholson : sa femme est une matérialiste consumériste assez générique qui hurle de joie lorsqu'ils emménagent enfin dans la maison "exactement comme dans la pub" et qui achète compulsivement canapés et waterbed, ses collègues (parmi lesquels figurent tout de même Harvey Keitel et Warren Oates, tous deux largement sous-exploités) dans la border police sont presque tous des crapules qui la nuit profitent financièrement de la misère de ces appelés à l'immigration clandestine et le jour les reconduisent de l'autre côté de la frontière, etc. Le tableau est un peu trop limpide, un peu trop constant dans ses valeurs et dans la psychologie de ses personnages, et peine à ce titre à travailler la nuance de sa matière pourtant bien intéressante.
La femme mexicaine que Nicholson va prendre sous son aile apporte en revanche un peu de douceur, et sera l'objet de l'unique direction dans laquelle le film ne se fait pas trop poussif en termes de démonstration : on comprend qu'il tombe sous le charme, coincé entre sa femme et son boulot de flic, et qu'il sera contraint d'agir pour elle seulement quand il aura constaté les exactions de ses confrères et d'autres civils. Une semi-romance conventionnelle sous certains rapports, mais d'un angélisme (au sens non-péjoratif) qui tranche radicalement avec le reste : décombres, misère humaine, rapports humains hypocrites, perversion généralisée. En toile de fond, aussi, la galère sociale de ce petit flic qui a bien du mal à mettre de l'oseille de côté. Candide à El Paso, en quelque sorte.