6 ans après Elephant, Denis Villeneuve s’attaque pour son troisième long métrage au même type de tragédie qui a frappé son pays, le Canada, en retraçant la tuerie dans l’école Polytechnique de Montréal en 1989 qui fit 14 victimes féminines sous le feu d’un tueur se revendiquant de l’antiféminisme.
Le sujet est délicat, et, comme chez Gus Van Sant, semble imposer un traitement singulier. Ce sera ici le choix du noir et blanc très clair, permettant une certaine distance renforcée par le travail sur les focalisations et le jeu sur la variation des espaces.
Tantôt embarqué dans l’organisation de la tuerie au côté du fanatique, le spectateur doit affronter sa glaciale opération, la rédaction de sa lettre et la méthode aussi lente que résolue avant les premières décharges. La performance de Maxim Gaudette, qu’on retrouvera au côté du cinéaste l’année suivante dans Incendies, est d’une grande rigueur. D’autres séquences donnent à voir la vie de l’Ecole, quelques remarques sur la discrimination et le sexisme en vigueur, ainsi que des parcours de certains survivants après le drame. Cette déconstruction temporelle n’est pas qu’un fait de style : elle permet l’installation d’un contexte et la mise en perspective de certains enjeux : le sexisme n’est ainsi pas le seul fait d’un malade mental sanguinaire, c’est une problématique systémique. De la même manière, l’après vécu par les étudiants dépasse la zone glissante d’un tel film, qui pourrait faire du voyeurisme et du sensationnel ses seules finalités : par le suicide de l’un, par le trauma d’une autre (« Lui, il est mort, dit-elle, moi je suis vivante. Lui il est libre, moi je suis coincée »), le récit prolonge les blessures et fait véritablement œuvre de mémoire.
Si la tonalité et le regard sur les êtres sonnent justes, on peut émettre quelques réserves sur certains partis-pris formels, heureusement occasionnels. Mettre la caméra de côté avant de la redresser ou filmer un espace à l’envers n’apporte pas grand-chose, et donne le sentiment d’une expérimentation un peu vaine qui détonne assez nettement avec la pudeur générale.
Petites erreurs de parcours qui n’entachent pas l’œuvre intégrale ; alliant efficacement la déconstruction pudique, l’immersion dans l’effroi et la réflexion sur la violence et ses stigmates, Polytechnique porte en germe des thématique et une maîtrise du regard dont Villeneuve saura faire preuve dans la suite de sa carrière, désormais à l’échelle planétaire.
(7.5/10)