Si je devais expliquer le traitement en noir et blanc, outre le fait que ce soit pour éliminer toute effusion de sang trop importante dixit Denis Villeneuve lui-même, ce serait parce qu'il permet de mettre, avec la grâce qui incombe à la vie, en avant toute une palette de nuances qui caractérisent notre existence et la rend unique. Durant tout le film, on a différents degrés d'héroïsme, de haine, de courage, de langages, d'esprits plus ou moins libres ou couards, nous sommes tous différents et tous les mêmes à la fois et en ça, le noir et blanc rend à notre humanité ses lettres de noblesse. Polytechnique, qui retrace, dans un laps de temps très court, l'avant, l'après et le moment fatidique d'une tuerie sanglante et ne visant que les femmes, possède une fragilité insaisissable.
Paradoxal, certes, quand on observe la tuerie du "tireur fou" comme il refuse qu'on l'appelle. Sans lui trouver d'excuses, heureusement, le film se penche sur nos choix, nos certitudes, nos convictions, notre capacité à sortir la tête de l'eau, notre entourage, notre éducation, et il en émane un tueur à la perception très ambiguë... et affreusement humaine, à l'image de ses tremblements, de sa peur, de ses idéaux au paroxysme, d'une surabondance de haine qui est devenue le moteur de toutes ses pensées. Et si l'acteur crève l'écran, c'est aussi le cas de Karine Vanasse, qui représente à elle seule toutes les contradictions d'un monde dans lequel il faudra toujours se battre, même contre la fatalité.
Alors cette caméra qui se pose doucement sur tous les protagonistes et les enferme dans une bulle prête à se rompre devient porte-parole, pas seulement d'une jeunesse qui se cherche, mais d'un carcan dont la liberté, la justice et le sacrifice se méritent, mieux, se gagnent en se battant, et parfois ça ne suffit pas toujours, car tout ne dépend pas que de nous. Il n'y a pas une seule réponse mais des milliers de questions.
En ça, le noir et blanc est justifié, voire primordial et le film, génial.