Le cinéma de Pasolini continue avec ce film à raisonner par abstraction et symbole, comme dans Théorème, mais de manière encore plus radicale.
Le film suit en parallèle deux histoires :
- Dans un paysage désolé qui rappelle l'Etna, un jeune homme vole une armure sur des cadavres. Affamé, il mange un serpent. Il défie en duel un soldat, qu'il tue, puis mange.
Avec un ami, ils se font bandits, délivrent des femmes pour ensuite les violer. Ils sont finalement arrêtés. Il confesse son crime : "J'ai tué mon père, j'ai mangé de la chair humaine et je tremble de plaisir". Lui et son comparse sont condamnés à être dévorés par les chiens
.
Après guerre, en Allemagne, deux jeunes gens se disputent. Le premier, Julian, est l'héritier de Klotz, un industriel hémiplégique qui a la tête d'Hitler, mais est plutôt humaniste, quoiqu'anticommuniste. La seconde, Ida, est amoureuse, a 17 ans et des convictions soixante-huitardes. Julian n'arrive à prendre aucune décision : ni désobéir à son père, qui veut le voir reprendre sa fortune, ni fuir avec Ida. Son père reçoit la visite de son principal concurrent, M. Herdhitze, un ancien industriel nazi qui s'est fait refaire le visage et a changé de nom.
Ils conviennent d'une fusion de leurs sociétés, qui ne semblent pas si profitable que ça à Klots. Surtout, Herdhitze sait des choses sur l'aboulie de Julian : ce dernier, tout jeune, aimait se promener chaque jour jusqu'à la porcherie pour y faire Dieu sait quoi (une romance homosexuelle est suggérée ?). Une délégation de paysans vient finalement voir les deux hommes. Emu, un jeune paysan (Ninetto Davoli) raconte à Herdhitze que les paysans sont arrivés juste à temps pour voir les porcs dévorer complétement Julian. Herdhitze leur dit que comme il ne reste plus aucune trace, le mieux est de ne pas en parler.
C'est un film qui a plus de force par la puissance évocatrice de ses images, et les réflexions qu'elles veulent libérer, que par la volonté de délivrer un message pleinement cohérent. On sent l'influence des événements de soixante-huit, le retour des vieilles obsessions de Pasolini (les relations parents-enfants, la faim qui pousse aux extrémités, le besoin d'une transcendance...). A un moment, un personnage fait un récit des chambres à gaz, tandis qu'un autre tire des accords mélodieux d'une harpe, puis lui demande d'aller au fait.
La jeune Anne Wiazemsky doublée dans cette langue si belle, l'italien : vision céleste.
J'ai plus de mal avec Jean-Pierre Léaud, par exemple les plans où il regarde fixement son ciel-de-lit.
Avec ce film, au moins, j'ai compris que chez Pasolini, la violence était esthétisée mais pas magnifiée. C'est la douleur qui est magnifiée. Ces corps masculins dénudés sont autant de Saint-Sébastiens sublimes.
Je ne suis pas sûr d'avoir compris le sens de la première histoire, celle sur les cannibales. Elle semble davantage vouloir déranger, poser un problème, que délivrer un quelconque message moral. Dans la seconde, les enjeux sont plus clairs : l'ambiguïté du "miracle allemand" qui suit la Seconde Guerre Mondiale, l'imperméabilité de la bourgeoisie au désir de changement des jeunes. Le destin de Julian, "pauvre petit fils riche", en revanche, me laisse assez froid (peut-être parce que c'est Léaud, doublé en italien de surcroît).
Un film que je recommande cependant, pour son ambiance intrigante, ses plans magnifiques sur l'Etna, son générique d'ouverture montrant des cochons sur fond de musique classique.