juillet 2009:

Que du beau monde pour ce film, devant et derrière la caméra. Cela faisait longtemps que j'avais envie de revenir à René Clair. La médiathèque Fellini de Montpellier m'en a donné l'occasion. Je lui fais un gros poutou.

Sans être un film génial, cette "porte des lilas" regorge de petites pépites comme j'aime à en mirer de temps en temps. Ca fait du bien.

D'abord j'aimerais m'acheter un chapeau pour le tirer devant le poète René Fallet. Ce film est une adaptation d'un de ses romans. Cet écrivain a un je-ne-sais-quoi de merveilleux. Il appartient à une famille de poètes que j'admire, d'artistes riches et vrais, de Prévert à Siné en passant par Brassens, ces gens-là aiment le mot, la musique comme la peinture et le dessin, bref l'art et la vie. Et l'univers de Fallet ne se refuse pas le douillet de la liberté, jamais, ni la caresse de l'amitié, ni encore moins la fraîcheur de l'isolement, cette sorte de "merde aux cons" qui permet de se regarder dans la glace. Comprenne qui pourra. Il y a de l'anarchie chez Fallet, matinée d'humanisme comme de misanthropie, un goût du vin et du foie gras qui ne manque pas de me séduire. A travers cette porte des lilas, c'est un peu de sa maison, de son univers que René Clair (en producteur, scénariste et réalisateur) essaie de nous faire découvrir avec une délicatesse désarmante.

Clair porte si bien son nom. Son cinéma est souvent très doux, net et précis pourtant. Si je donne là l'impression de décréter ne vous y fiez pas, je ne fais que supposer, du haut de mes cinq ou six films de Clair que j'ai vus.
Cette sensation de douceur, on l'a retrouve un peu dans tous les aspects du film. Dans les idées de mise en scène, par exemple quand Raymond Bussières raconte le hold-up raté d'Henri Vidal. Il lit le journal, pendant qu'à l'écran et devant les yeux de Pierre Brasseur, la bande de gavroches du quartier nous fait la reconstitution des évènements (voir video). Simple et fûté à la fois, cette métaphore scénique ne baigne-t-elle pas dans une sorte de poésie sensible et naturaliste, concrète mais portant à la rêverie des souvenirs d'enfance?

Clair décore son film d'un voile tout aussi délicat grâce à la photographie satinée de Robert Le Febvre. Le quartier reconstitué en studio par Léon Barsacq et surtout Maurice Barnathan (selon imdb) est embrumé mais ne s'en échappe aucun fantôme, si ce n'est ceux d'un passé de plus en plus révolu. Ce Paris-là, des faubourgs fauchés, où les maisons brinquebalantes n'abritent que les classes sociales les plus basses, ce quartier est encore celui du XIXe siècle. Les grandes tours de banlieue finiront par accueillir cette populace. Le quartier délabré est encore à visage humain. Une petite cahute tient lieu de salle de bal où l'on guinche tous les soirs, l'épicier tient ses rayons, le stylo sur l'oreille, le bistrot où l'artiste vient chanter et gratter sa guitare est le lieu social central. Faute de télé ou de Wii, les mômes se construisent des voitures en bois et envahissent les rues. Loin de moi que c'était mieux avant et autres foutaises du "bon vieux temps". C'était différent, c'est tout. Et cette différence, Clair, grâce à tout ce petit grand monde derrière la caméra nous la restitue. Magie du cinéma.

Concernant les comédiens, il y aurait beaucoup à dire mais dans le flot de commentaires, il s'agit de commencer par le commencement. Or, nous devons saluer l'énormissime prestation de Pierre Brasseur. Je ne crois pas l'avoir vu dans ce genre de composition. Je l'ai vu en lâche, en grande gueule, en fanfaron, mais jamais dans ce type de rôle. Il joue ici une sorte d'imbécile du quartier. "Juju" est un personnage familier, que tout le monde aime bien mais méprise un peu (sauf quelques bonnes âmes comme Carrel et Brassens), une cloche qui chaparde à l'occasion quelques boites de conserve à l'épicier et quelques rasades de pinard au bistrot quand le cafetier a le dos tourné. Brasseur se paie le luxe d'un personnage complexe. Il lui donne mille petites facettes. Sa composition est remarquable : elle n'outrepasse jamais les clichés d'un tel personnage, bien au contraire par petites touches il lui donne soit la juste lueur d'intelligence pour qu'il ne soit pas juste l'idiot du village, soit la pincée de colère pour qu'il puisse se révolter de temps en temps et en faire un homme, un vrai personnage. J'avais beaucoup d'admiration pour cet acteur. Après avoir vu ce film, mon degré de (baba)ttitude atteint des sommets qui peuvent aller jusqu'à me faire dire des grossieretés. Quel putain d'acteur tout de meme!

George Brassens n'est pas un acteur, mais son rôle ne demande pas de grand ouvrage. Le peu qu'il a montré est convenable.
J'ai beaucoup aimé Dany Carrel. Elle est belle, ce qui ne gâte rien, mais il se dégage surtout de son personnage quelque chose de très émouvant. On a envie de la progéger. Une sorte d'innocence nécessaire pour faire "grandir" le personnage de Brasseur nous est offert par un jeu tout en réserve et fragilité. Dans les scènes un peu plus "dures", notamment quand elle découvre Vidal et se fait un peu bousculer, j'ai été agréablement surpris par son habileté. Je ne m'y attendais pas vraiment, la connaissant mal, conservant des préjugés dont l'origine se dérobe à ma compréhension. Vidal par contre m'a semblé caricatural au possible, toujours sur les mêmes tonalités et pas original pour deux sous. Je n'ai rien contre le bonhomme mais il alourdit le propos du film. Mauvais choix.

Malgré cette petite anicroche, je peux me remercier (merci, de rien) d'avoit fait le bon choix à la médiathèque. Très bon moment. Frais. Je crois que je vais finir par emprunter tous les Clairs qui me tomberont sous la main dorénavant.
Alligator
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le 16 mars 2013

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Alligator

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