POSSESSION est un chef d’œuvre. Un vrai. Même si on est loin de comprendre tout ce que l’on voit, on est happé par un spectacle qui nous échappe totalement, qui nous dépasse sans que nous puissions y faire quoi que ce soit. En somme, ce film a sur nous le même effet que le personnage d’Isabelle Adjani sur Sam Neill. Si un tel titre nous laissait entrevoir la possibilité d'un récit d'exorcisme, le ton du récit nous écarte rapidement de cette piste, se focalisant directement sur le traumatisme amoureux de son protagoniste masculin. Sam Neill est ici l’époux totalement dépendant de sa vie de famille, s’attachant de façon maladive à sa femme (dès les 10 premières minutes du film, après son départ précipité dans un hôtel, la rupture avec sa femme prononcée, il gesticule en gémissant sur son lit), et ayant un besoin impératif de comprendre son fonctionnement, sa logique. Alors que cette dernière n’en a apparemment pas. Elle semble d’abord tenir à son amant, mais elle revient à l’appartement familial (où vit Mark et leur fils), où elle laisse parler Mark sans jamais lui fournir les réponses attendues. Pour ainsi dire, elle va d'une chose à son contraire en acquiesçant à chaque question de son mari, sans donner de détail ni développer sa pensée (elle laisse clairement Mark penser ce qu'il veut).
N’y tenant plus, Mark rend alors visite à l’amant d’Anna, Heinrich, dans l’espoir de comprendre, et de pouvoir faire face à la situation. La découverte de ce nouveau sommet du triangle amoureux se fait dans une ambiance des plus étranges, ce nouveau personnage tentant carrément de séduire Mark (il lui tourne autour, presse ses mains sur son torse, lui caresse le visage…) avant que l’entrevue ne se solde par une bagarre plutôt brutale. Jusqu’ici, nous ne vivions qu’un drame amoureux assez tendu au niveau de l’interprétation, les acteurs jouant tous à fleur de peau. Mais le récit prend véritablement une tournure de thriller quand on découvre qu’Anna ne passe en fait son temps ni avec Mark, ni avec Heinrich. Vu qu'Anna disparaîssait pendant des journées entières, négligeant de s'occuper de son gosse, on commence à se poser de sérieuses questions. Le film entre dans une espèce de jeu qui rappelle le VERTIGO d’Hitchcock, avec des sentiments exacerbés pour les personnages dépeints toujours avec une véritable logique comportementale. Et sans crier gare, on bascule dans un fantastique Cronenbergien au contenu passionnant, au sens métaphorique terrassant (on est vraiment bouche bée devant le ton que prend le récit, il tourne dans une sorte de dépendance amoureuse monstrueuse, déviante, maladive quand on voit la violence qui s'empare des personnages).
POSSESSION mixe alors deux registres différents, utilisant d’un côté un fantastique incarné dans une créature que ne renierait pas Cronenberg (ici entièrement tournée vers l'amour charnel), et une structure dramatique concernant Isabelle Adjani qui évoque en droite ligne HELLRAISER 1 (la frustration de Julia), qui bien qu’étant moins gore, pousse son propos et ses fantasmes plus loin que ne l’avait fait Clive Barker. Il faut voir ce plan séquence incroyable, où Isabelle Adjani, marchant dans le métro, passe en 5 minutes de l’état d’une passante lambda à celui d’une furie possédée, terrifiante en face de nous, achevant sa scène dans un délire gore incompréhensible mais profondément angoissant. Pour peu que le spectateur se soit plongé dans le film, il vivra un moment d'angoisse qu'il ne sera pas prêt d'oublier. Une vraie performance d'actrice, folle, impressionnante. Sur le plan de la simple performance d’acteur, tous les artistes de ce film sont admirables. Leur jeu est poussé à l'extrême, leurs émotions sont parfaitement logiques malgré les dérapages fréquents dans le fantastique, qui fascinent du début à la fin, nous offrant des moments de pure tension, de folie ultra crédible (Sam Neill se mutile au couteau électrique, Isabelle est la tarée la plus impressionnante vue à l'écran (des interprétations aussi jusqu'auboutistes se comptent sur les doigts d'une main)…) et de métaphore fantastique (le face à face final dans la cage d’escalier maculée de sang sur toute sa longueur est une séquence d'une intensité rare). POSSESSION, c’est la force des images et d’une histoire intimiste, profondément dérangeante et faisant ressurgir des peurs terrifiantes (touchant à l'une des principales angoisses de l'homme : l'amour), portés par des personnages psychologiquement perturbés et perturbants, dont les performances d’acteurs ahurissantes devraient marquer à vie les spectateurs qui s’y confronteraient. Qui pensait qu’un chef d’œuvre définitif était sorti en 1981 ?...