Présenté l’année dernière à Cannes, le quatrième long-métrage de Carlos Reygadas a connu les glorieux honneurs de la disgrâce, sifflé, rejeté, bafoué, étrillé sans ménagement par une presse internationale particulièrement remontée (ce qui n’a pas empêché le film de repartir avec le prix de la mise en scène, largement justifié). Certes, Post tenebras lux est parfois agaçant, souvent inégal, toujours déroutant, mais il ne méritait pas une telle volée de bois vert par une critique sanguinaire qui, à l’arrache, n’aura retenu que les scènes choc (un diable rouge luminescent, un chien violemment battu, une partouze échangiste dans un sauna, une auto-décapitation à mains nues…) sans appréhender l’ensemble de sa démarche et de son dispositif.
Japón, Bataille dans le ciel et Lumière silencieuse profitaient d’un arc de narration plus ou moins clair, cohérent, que Post tenebras lux abandonne en grande partie. Reygadas radicalise sa mise en forme et la structure de son récit pour faire de son film une sorte de collage ésotérique et expérimental de différentes scènes sans lien direct (et apparent), à la manière d’un Buñuel première époque (Un chien andalou et L’âge d’or) ou des cut-up de Burroughs. Si la trame principale évoque un couple aisé avec ses deux jeunes enfants face à la sourde hostilité du monde, Reygadas observe, en revers de ça, le chaos et les beautés d’une nature changeante (concrète, spirituelle, indicible, menaçante) dans un seul et même geste, dans une seule et même globalité (tentons l’épate : une même cosmogonie).
Reygadas a expliqué que Post tenebras lux rendait compte "des différentes perceptions de l’existence. On y trouve donc le présent, l’inconscient, les rêves, le souvenir, les images du futur et la conscience de ce qui nous entoure". Son film est donc cela : un songe éthéré par nuits d’orage, le sentiment d’une certitude qui se fragmente, qui s’est éparpillée, avec l’absence au bout (d’un mari, d’un père). Mais plutôt qu’essayer, à tout prix, de donner ou de trouver un sens à cette troublante introspection, œuvre ultra secrète, intime en profondeur (tournée dans la maison de Reygadas, tournée avec ses propres enfants, tournée avec des gens qu’il connaît, par lui et pour lui…), il faut d’abord se laisser couler, accepter de se noyer et s’abandonner, la tête ailleurs, aux multiples sensations que procure le film.
L’incroyable travail sur la lumière, les sons (bruts, décuplés, angoissants) et les cadres aux contours perdus, dédoublés (pour les scènes extérieures uniquement, là où l’espace se limite aux champs physiques de notre regard), participe à créer une atmosphère proche de la fugue, du trip hallucinatoire. C’est un cinéma complètement libre, fort, ensorcelant (les dix premières minutes sont sublimes), éreintant aussi, débarrassé de conventions et de contraintes, et qui, loin de n’être qu’un cinéma que l’on jugera, avec hâte, vain et poseur (en quoi serait-il poseur ? En quoi le serait-il autant que les expérimentations poussées d’Alexandre Sokourov, de Matthew Barney ou de Lars Von Trier ?), cherche surtout à se réinventer en proposant une exploration personnelle des réalités autour de nous. Entêtant.