Il s'agit de l'adaptation d'une pièce hongroise qui revoit le mythe d'Electre, et il est démentiel qu'un tel film ait pu voir le jour dans un pays communiste.


Le début du film donnait l'impression que Jancso se parodiait presque lui-même : une file de cavaliers traversant l'écran de gauche à droite derrière un écran de brume, des gens qui paradent selon des chorégraphies compliquées impliquant des outils agraires traditionnels, avec un formalisme absurde, et au milieu Electre, dont on comprend qu'elle refuse d'accepter la mort de son père, tué par Egisthe et son comparse. On lui présente un couteau, qu'elle ne peut elle-même utiliser, étant une femme. Elle attend le retour de son frère Oreste, figure de l'ordre ancien que l'on n'ose pas éliminer, mais que l'on marginalise. La parade continue, orchestrée par Egisthe, un homme chauve au visage martial, dans une imagerie de fête agraire du XIXe, et des choristes expliquent que le roi Agamemnon était mauvais et sot, pour avoir voulu donner la liberté à son peuple. Electre apparaît, sous un dais blanc porté par des suivants, qui le rabattent sur elle, comme un filet, donnant à son visage un air de morte.


Egisthe fait croire au peuple qu'Oreste est mort, puis qu'il est parti définitivement, et le peuple l'accepte. Un messager arrive, annonce la mort effective d'Oreste. Electre le tue. C'était une machination d'Egisthe, qui lui propose d'échapper à la condamnation en confessant publiquement qu'elle se trompait depuis le début. Electre refuse. A partir de ce moment, le film se fait assez confus, mais Oreste revient, fait enserrer Egisthe dans un filet. Son pouvoir de tyran est mis à bas, Electre rayonne, humilie ses anciens bourreaux. De nouvelles parades, qu'Oreste et Egisthe survolent après être monté dans un hélicoptère rouge, qui symbolise l'oiseau de feu de la révolution.


Comment ne pas comprendre que c'est le pouvoir soviétique qui est mis en procès dans ce film ? Ces allusions à un royaume qu'Egisthe veut garder hors de toute influence extérieure, dont il manipule le passé à l'envie, ces parades où les peuples récitent comme des robots des louanges extatiques au régime. Mais le film est pessimiste, car on voit les anciens thuriféraires d'Egisthe, par exemple le musicien qui participait aux parades, s'adapter au nouveau changement de pouvoir sans chercher à conquérir leur liberté. La fin d'Electre est donc une fausse fin heureuse, à mon sens, en dépit de l'ode à la révolution, mais je peux me tromper.


Au niveau formel, encore de très beaux plans fondés sur la profondeur de champ, les couleurs, la fumée. Le plus frappant est probablement ce danseur de sabre qui se détache sur le fond jaune de la plaine. En revanche c'est probablement un des films les plus minimalistes de Jancso que j'aie pu voir. Le seul décor est une sorte de ferme aux murs de torchis accolée à un séchoir sans murs. Sans doute le récit de la genèse de ce film est-il intéressant. Jancso ne cherche pas à capturer l'étrangeté de l'Antiquité comme le fait Pasolini, auquel je ne pouvais m'empêcher de penser en contrepoint pendant le visionnage.


Pour Electre est une reprise allégorique du mythe d'Electre qui dénonce en sous-main le pouvoir soviétique, en reprenant les motifs chers à Jancso. Au niveau de l'histoire, c'est un de ses films les plus charpentés et les plus faciles à suivre.

zardoz6704
8
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le 9 nov. 2015

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