Le sujet de Pour la France s’inscrit dans cette tradition nationale des films politiques et engagés dont les bandes-annonces encombrent en permanence les écrans : un David contre Goliath, une injustice à réparer, sur laquelle se cristallisent des questions sociétales que le pays ne parvient pas à régler, et qui braqueront une nouvelle fois les détracteurs du cinéma français se contentant d’en lire les pitchs.
C’est ici que le projet de Rachid Hami se distingue : récit autobiographique, il revient sur le destin de son frère mort lui-même lors d’un bahutage à Saint-Cyr et la manière dont la famille a du faire face à la hiérarchie militaire pour lui assurer d’honorables funérailles.
Le propos concerne moins la restitution d’un fait de société ou d’un marathon judiciaire qu’un travail de mémoire au sein d’une famille, à l’heure d’un décès qui l’unifie dans la sidération. Et c’est là que l’écriture d’Hami fait preuve d’une véritable audace, s’autorisant une dilatation du rythme et de nombreux détours dans une narration non linéaire pour établir les enjeux autour de ce cadavre en uniforme. De l’Algérie des années 90, avant le départ de la famille, à une visite du frère à Taipei, les portraits s’approfondissent et se complexifient pour faire de la cellule familiale un terreau bien plus fertile que la simple galerie de portraits éplorés face à une mort injuste.
Le personnage du grand frère, incarné par Karim Leklou, centralise cette ambivalence : alors qu’il semble d’abord se poser un patriarche de substitution, une réplique cinglante de sa cousine (« règle tes problèmes ») lève le voile sur un passif de fils mal aimé, et l’exploration d’une voie parallèle à celle de l’exemplaire assimilation du fils préféré. Pour la France ne cesse de désactiver les ressorts attendus, se nourrissant de sentiments contradictoires : un père violent mais abandonné, une mère éplorée mais vengeresse, un général droit dans ses botes mais révolté, un frère blessé mais en paix. Les personnages (tous fabuleusement incarnés), souvent traités sous une photographie sombre, sont régulièrement des silhouettes dont on ne parvient pas à saisir les traits du visage, annoncées dès l’enfance, que ce soit dans cette leçon violente de natation où les corps se perdent dans le ressac, ou un jeu de fratricide en ombre portée sur un mur qui anticipe avec pudeur le rapport des frères ennemis.
De cette façon, la symbolique que chacun charrie presque malgré lui se voit toujours traitée avec nuance : le film ne fera pas de l’Armée la grande figure inhumaine attendue, et la question du racisme (« Rentre pas là-dedans », assène Ismaël), évidemment traitée, ne déviera pas vers le manichéisme. Rachid Hami suit et interroge avant tout la question des mouvements : l’arrachement à un pays, le parcours de la foi, l’ascension sociale, la question du patriotisme et le rapport aux modèles façonnés par la cellule familiale. Face au statisme de l’impardonnable disparition de l’être aimé, la mobilité de la mémoire et les remous complexes du cœur ébauchent la possibilité d’une résilience.