Le documentaire est un art délicat, tant celui qui s'y colle évolue constamment au bord du précipice, entre le risque perpétuel d'ennuyer poliment le spectateur ou de tricher, parfois malgré soi, avec la vérité historique.
Peter Jackson semble, dans les premières minutes de Pour les Soldats Tombés, ne pas savoir sur quel pied danser, se contentant du récit habituel de l'avant guerre et des insouciances britanniques. Des jeux des enfants et de cette bonne société précipitée malgré elle dans des méandres politiques qui la dépassent.
Jusqu'à ce que les discours changent et commencent à aborder les recrutements, l'âge seuil de dix-neuf ans qui n'est souvent qu'un nez rouge que l'on ne remet jamais en doute. Et le fait que ces jeunes allaient à la guerre la fleur au fusil. Parce qu'ils voulaient tout simplement en être.
Et il y a l'entraînement, les anecdotes qui susciteront un sourire à plusieurs reprises. Jusqu'à ce basculement dans l'horreur, quand la couleur s'invite et fait irruption dans le récit. Tout comme la crasse, la maladie, les rats ou le désoeuvrement.
Une couleur qui donne une drôle d'impression à l'oeuvre, presque irréelle, issue d'un rêve, dont certains passages pourraient littéralement nourrir une véritable fiction. Au point où l'on pense en certaines occasions que Peter Jackson nous offre son propre film de guerre. Les récits à la première personne, eux, contribuent à une immersion quasi immédiate, restituant toute la cruauté, toute la violence et le gâchis d'un conflit, tout comme la bande son qui fait rugir les canons et siffler les balles juste au dessus des tranchées et des trous d'obus.
Cette couleur, c'est ce rouge profond du sang des cadavres, le bleu et le noir laiteux de leur pourrissement, ou le brun de la saleté des molletières. Mais cette couleur ne dépasse jamais le poignant d'un récit dépourvu de bornes chronologiques claires, l'étrange atmosphère de certaines situations parfois décalées. Pas plus que la technique déployée.
Elle ne passe surtout jamais au dessus du fait que Pour les Soldats Tombés, s'il est presque totalement dénués d'images du conflit proprement dit, offre un de ses assauts les plus incroyables par la seule force des mots et des petites histoires, par tous ces dessins et caricatures biaisées. Au point de se hisser, par son seul pouvoir d'évocation, à ce que Spielberg avait illustré par l'image lors de son débarquement tétanisant de Il Faut Sauver le Soldat Ryan.
Et alors que Le Monde imbécile a déjà choisi son camp, déplorant le surnombre des techniciens 3D au détriment des historiens et l'absence d'images des combats, l'expérience indescriptible du bourbier est touchée du doigt plus d'une fois par Peter Jackson, qui parvient à conserver une cohérence étonnante malgré la multiplicité des documents, des images et des sources.
En dessinant un hommage à tous ceux qui sont morts bien avant d'avoir vécu, que ce soit dans le no man's land ou à l'occasion d'un retour à la vie civile, dans une incompréhension et une ignorance totale.
Comme s'ils mouraient tous une seconde fois.
Behind_the_Mask, soldat inconnu qui a envie de raviver sa flamme.