Pour les soldats tombés est sans nul doute le projet le plus personnel de Peter Jackson. Produit pour les 100 ans de la fin de la Première Guerre Mondiale, le réalisateur est allé jusqu'à ne percevoir aucun salaire pour rendre à la fois hommage à ces soldats, et puis aussi à son grand-père, qui a été blessé de guerre, et qui disparaitra vingt ans avant sa naissance.
Seulement, je dirais que la forme est particulière, voire originale. Déjà reprise dans une série documentaire comme Apocalypse, la grande majorité des archives filmées dans les tranchées en noir et blanc sont en couleurs, avec uniquement en voix off les témoignages d'anciens soldats anglais enregistrés par la radiotélévision anglaise dans les années 1960 et 70. Car il s'agit avant tout de divisions anglaises qu'on voit à l'image. Pour donner une impression de véracité encore plus forte, je dirais même immersive, Jackson a carrément crée des mouvements de caméra en faisant des zooms sur les plans originaux, où les caméras de l'époque ne pouvaient faire que des travellings latéraux, et ceux qui jadis ne parlaient sans qu'on entende un son sont désormais doublés par des acteurs anglais qui ont l'accent du cru selon qu'ils sont originaires de telle division. C'est une minutie incroyable du détail, qui va jusqu'au bruit des armes ou des obusiers, dont tous les sons ont été restitués de manière très fidèle, jusqu'au sifflement des balles ou le sifflement que provoque l'arrivée d'un obus jusqu'à son impact sur le sol. Enfin, concernant les archives, comme tout n'a pas été filmé, notamment les attaques dans les tranchées adverses allemandes, Peter Jackson a fourni des extraits d'un magazine illustré de l'époque qui racontaient au public anglais la guerre, et notamment les combats à la baïonnette face à l'ennemi.
Ce procédé a fait depuis débat, car pour certains ça apporte un côté cinématographique inapproprié mais je trouve que ça apporte une immersion indéniable, toujours respectueuse de ces jeunes hommes, et qui nous permet de nous rendre compte encore plus le bourbier dans lequel ils s'enfonçaient peu à peu.
Car il s'agit avant tout de raconter le départ à la guerre de jeunes recrues anglaises, persuadées que ça n'allait durer que quelques mois, qui y allaient pour le goût de l'aventure et pour la solde qui les attendaient. Certains mentaient délibérément sur leur âge, pourvu qu'ils paraissaient matures, avec l'accord de l'administration qui fermait les yeux. Puis vient l'entrainement, dont la charge à la baïonnette où il faut hurler pour déstabiliser son ennemi, et puis l'arrivée dans les tranchées. Il s'agissait avant tout d'attendre les ordres, à vivre dans des conditions spartiates, souvent narrées avec des anecdotes aux souvenirs amusés des anciens soldats, dont la manière de faire caca assis sur une poutre en compagnie d'autres personnes ou la découverte des bordels lors des permissions, mais c'est avant tout l'horreur qui prime. Le froid, la boue, les poux, le risque d'attraper des maladies, et surtout la peur qui semble contaminer peu à peu les soldats, avec des images terribles de personnes décédées par une déflagration d'obus, des visages arrachés, des démembrements... L'arrivée des gaz est elle aussi narrée, avec des moments terribles racontés par les soldats anglais où ceux-ci devaient soit mettre un masque à gaz, uriner dans un mouchoir pour se le mettre sous le nez ou, si on n'a rien de tout ça, plonger la tête la première dans un seau de pisse et retenir sa respiration !
S'il y a une chose que le documentaire rend très bien, c'est l'arrivée de la caméra lors de cette guerre. On voit que c'est tout nouveau, que ça intrigue les gens qui regardent sans arrêt en direction de l'objectif, et certains croient même qu'ils doivent prendre la pose durant quelques secondes le temps qu'ils se fassent prendre en photo. Sans doute qu'ils ne connaissaient pas du tout ce qu'était une caméra, bien qu'ils aient pu aller au cinéma, et c'est ce qu'il reste d'eux. Le respect va aussi jusqu'à la confrontation avec les allemands, qui sont toujours montrés de manière respectueuse, y compris lors de leur capture où il semble régner une camaraderie commune, car après tout, c'est la guerre qui les a opposés, sans qu'ils ne comprennent vraiment pourquoi.
Depuis 2014, et la sortie du dernier épisode du Hobbit, Peter Jackson semble comme bloqué pour réaliser son prochain film de fiction. Il a produit Mortal Engines, a réalisé un autre documentaire consacré Let it be des Beatles, et semble repousser aux calendes grecques le projet de suite à Tintin. La réalisation de ce documentaire-là (il s'était déjà attaqué au genre avec Forgotten Silver, basé sur des faits fictifs) lui a sans doute fait du bien, à la fois pour rendre compte de sa passion pour la Première Guerre Mondiale (dont il possède une collection impressionnante) et rendre hommage d'une belle façon à ces visages anonymes ainsi qu'à son grand-père.