Petite pépite de Robert Siodmack, Criss Cross pousse les curseurs du film noir pour un résultat tendu et qui réactualise avec brio la tragédie qui a toujours été en germe dans le genre.
Plusieurs procédés vont permettre une posture singulière du spectateur face à cette histoire somme toute convenue de braquage sur fond de triangle amoureux, reprenant, entre autre, le principe de Gilda. C’est d’abord la structure en flashback, qui crée un recul et un temps d’avance sur les personnages, dont les passions et les illusions seront presque systématiquement déniée par un futur que nous connaissons déjà : ainsi des résolutions du personnage de Lancaster, déterminé à ne pas reprendre contact avec son ancienne passion, ou de l’avenir de leur couple lorsqu’ils finissent par céder à la tentation. La voix off participe aussi abondamment de ce déterminisme : à plusieurs reprises, le protagoniste commente l’action en insistant sur les points de bascule de sa destinée, et des mauvais choix qui l’y ont conduit. Le personnage devient ainsi son propre prophète de malheur (« I was wrong ») et chaque instant qui semble être heureux se voit coloré des perspectives les plus pessimistes. Ainsi de cette belle scène de retrouvailles dans une boite de jazz où l’ancienne dulcinée danse sur un rythme effréné, reléguant Lancaster et sa carrure de mastard au rôle du spectateur passif, subjugué par un charme contre lequel il ne peut rien, ayant soin de rester à l’écart avant que la demoiselle, l’ayant repéré de son œil fatal, ne traverse la foule à sa rencontre.


Pour que le film noir advienne, il faut que rien ne fonctionne : un plan ne se met en place que pour échouer, la romance sera contrainte, et le projet, toujours sous forme d’une fuite vers un monde meilleur, forcément compromis par les entrelacs d’une trajectoire souillée d’obstacles et de détours. Criss Cross en est le parfait exemple. Le projet de braquage se fait ainsi sur un malentendu, le protagoniste s’acoquinant avec le gangster pour sauver son épouse malheureuse, lui qui ne demandait évidemment qu’à rentrer dans le rang, et devenu l’inside man du fourgon blindé qu’il conduit. La posture souvent intermédiaire du protagoniste de l’intrigue est toujours un atout : elle permet de le montrer comme une victime qui met le doigt dans un engrenage avec les meilleures intentions du monde, et d’exacerber les compromissions immorales que cela suppose : le sort réservé à son bon vieux collègue sera d’autant plus touchant qu’il est exacerbé par les scrupules du héros acculé à commettre l’irréparable.


La mise en scène, précise et efficace, souligne à l’envi cette misère des individus : la plongée vertigineuse sur le fourgon lors de son entrée dans l’usine en dit long sur la prééminence de la structure sur leur insignifiantes actions, et les portraits du couple ont beau être glamour, ils seront rattrapés par la nature véritable d’une femme qui délaisse volontiers le lyrisme amoureux pour l’égoïsme vénal. À vous donner des envies de revoir un Disney, histoire de requinquer sa foi en l’humanité…


(7.5/10)

Sergent_Pepper
8
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le 18 oct. 2018

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Sergent_Pepper

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