Si on vous présente comme très bon un film où un commando de gros bras a maille à partir avec un extraterrestre dépeceur capable d’invisibilité et de vision infrarouge, c’est que vous avez a priori pour interlocuteur un adolescent de quatorze ans ou un champion de paintball.
Affirmer que c’est un grand film de par ses qualités esthétiques et cinématographiques, c’est déjà plus audacieux.
Et pourtant.
Certes, nous avons droit à ce qui fait que Schwarzenegger joue dans un film en 1987 : musculature, calibres de tous poils, explosions et répliques macho à gogo (reste, là toi, dit-il à un méchant après l’avoir cloué au mur avec son poignard de la taille d’un tronc d’arbre).
Mais voilà, après cette première demi-heure fidèle au genre, survient progressivement une tension graduelle d’une efficacité redoutable.
Dans Die Hard, le défi visuel consistait à exploiter toutes les ressources d’un bâtiment, d’en explorer les moindres recoins pour y déceler un potentiel de terrain cascadoludique. Ici, tout le film repose sur le principe de la découverte, à l’image de ce plan programmatique qui remonte le long d’un tronc, interminablement, pour aboutir au cadavre sanguinolent de la première victime. Dès lors, la quête est de voir le prédateur, alors qu’on pensait pouvoir se contenter de canarder à tout va pour l’éradiquer : en témoigne cette séquence diablement ironique où l’on vide tous les chargeurs sur la jungle, démonstration de force d’autant plus vaine qu’elle tente de capter l’invisible et l’insaisissable. En contrepoint, les séances de replay en infrarouge, longues et expérimentales, complètent cette exploration exhaustive que met en place McTiernan.
Méticuleux, méthodiques, les survivants vont apprendre à anticiper et à regarder. A mesure qu’il progresse, le film devient de plus en plus rigoureux dans sa construction, tout entier dévolu à son thème, le regard, pour aboutir à une chasse muette et d’une très grande maîtrise plastique.
Grande idée que celle d’une progression vers le dénouement par le dénuement : les deux ennemis restant se délestent peu à peu de leurs attributs : Schwarzenegger, ostentatoire dans l’exposition par ses biceps et son cigare phallique, apprend l’invisibilité en se couvrant de boue (certains portraits nous évoquent d’ailleurs le Martin Sheen d’Apocalypse Now). La bête, elle, accepte de devenir visible et organique pour le corps à corps final.
Avec Alien et The Thing (on remarquera à ce titre le prélude exactement similaire au film de Carpenter, à savoir l’arrivée d’un vaisseau extraterrestre sur la terre), Predator fait partie de ces films qui honorent leur genre habituellement méprisé par une maîtrise décuplant le divertissement et un sous-texte leur conférant le statut de véritable œuvre d’art.