John McTierman vient tout juste de réaliser un premier film avant de se voir confier le nouveau projet hollywoodien du moment visant à faire s’affronter une star américaine et un extra-terrestre. Il est encore loin de s’être forgé une réputation de réalisateur majeur de film d’action des années 1980 et 1990 mais c’est clairement avec ce travail que tout commence : Predator, le film qui allait lui lancer cette carrière. Premier film avec un studio, il se plaint rétrospectivement de l’ingérence que ça a pu avoir dans son travail à l’occasion, même s’il verra bien pire par la suite, ce long-métrage est définitivement annonciateur de tout ce qui suivra.
Ce qui s'apparente à une menace extra-terrestre arrive donc en post-production évidente pour s'écraser sur la Terre et on enchaîne alors avec un briefing classique d'une équipe militaire menée par un Arnold Schwarzenegger en pleine forme, entendez par là avec un bras bien volumineux, qui va effectuer une opération de « sauvetage » sous un fond musical rock. Le début laisse donc penser à un film d'action bourrin classique, on est que 2 ans après Commando du même producteur, ce qui n'est que partiellement vrai et assez réducteur pour Predator à la fois dans son traitement du fond que de la forme.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆
Si l'action est bien présente et sait se faire explosive avec notamment l'assaut sur le campement rebelle très efficace avec ses clichés de mise en scène marrants, du style j'avance avec une mitrailleuse à découvert sans jamais me faire toucher, c'est l'ambiance oppressante d'une bonne partie du film qui m'aura réellement marqué. Le film s’emploie très vite à la faire ressentir avec ces cadavres écorchés qui confèrent une violence très graphique à la limite de l’horreur et cela très rapidement dans le récit, comme pour faire comprendre l’essence-même du film qui va vite mettre de côté toutes ces explosions.
Le film va surtout prendre son temps pour faire apparaître le personnage du Predator à l’écran avec tous ces plans en vue subjective où on essaie d’imaginer pourquoi il y a ce filtre visuel de vision thermique. C’était vraiment une idée originale, pleinement intégrée au récit et je pense que ça a grandement contribué à la mystification du personnage qui en impose du fait de la terreur qu’il insuffle à ces soldats vétérans présentés d’abord comme quasiment invincibles. Pourtant le rythme n’en souffre pas trop en contrepartie puisque le Predator ne se contente pas d’observer pendant 3 plombes, il passe à l’action assez souvent et différemment.
Les morts s’enchaînent, percutantes pour la plupart, pour un final à la mise en scène assez grandiose :
Dutch tout muscle dehors affronte en duel cette mystérieuse créature comme on pouvait s’y attendre mais l’originalité et la pertinence de la scène viennent du retour à des armes et pièges primitifs dans cette jungle étouffante sous une nuit où le cœur du duel consiste à échapper à la vue de l'autre est assez saisissant. En témoigne le passage où le Predator passe juste à côté de notre héros parfaitement camouflé, inversant le rapport de force, le Predator dispose de la puissance de feu mais Schwarzy de la furtivité pour lui échapper et le prendre par surprise.
C’est aussi l’occasion de rendre une mise en scène plus originale que la plupart des films d’action de l’époque enchaînant justement les fusillades et les grenades, essayant toujours de surenchérir dans les dégâts montrés et la durée des séquences, là où la lutte contre le Predator ne se résoudra pas du tout selon cette logique, bien au contraire. C’est une très belle bouffée d’air frais pour le genre à mes yeux, en dépit de l’ambiance anxiogène qu’elle implique, tout en épousant pleinement la réflexion même à l’origine du projet : faire s’affronter une star hollywoodienne et un extra-terrestre badass.
Le design de ce Predator, parce qu’il faut bien parler un peu de lui au bout d’un moment, est hyper classe, aussi bien avec que sans son casque. On sent qu’il y a eu une vraie recherche pour ne pas juste faire un humanoïde repeint d’une couleur mais une nouvelle créature mythique de la science-fiction. Ça n’est pas tant par son background, ici se contentant d’en faire un chasseur s’amusant à traquer des guerriers quand il est en chaleur, que par son allure qu’il obtient ce statut. Que ce soit par ses mandibules superbement articulées, ses cris déchirants ou ses gadgets super cools, il impose le respect dans cette jungle dont il est le roi. Seuls quelques effets spéciaux ont assez mal passé l’épreuve du temps, mais ils sont très secondaires
Le directeur de la photographie Donald McAlpine a su rendre cette jungle vivante et anxiogène, sachant que les lieux de tournage réels se situaient au Mexique malgré le fait que le réalisateur et lui auraient préféré tourner en jungle profonde. Le résultat reste très satisfaisant à mon sens, l’alternance constante entre prises de vue réelles de la jungle et les décors artificiels créés sur le plateau sait faire illusion et on voit que l’équipe technique s’est appliqué à tous les niveaux pour que ça le fasse alors que les conditions de tournage ne devaient pas être simples. Cette maestria se combine-t-elle avec un scénario infiniment plus profond qui n’y paraît ? Peut-être pas quand même.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆
L'équipe de Schwarzy, si elle a la puissance de feu pour vaincre à elle-seule une cinquantaine d'ennemis armés retranchées dans leur propre camp sans essuyer une seule perte, est poursuivie par une menace à peine perceptible mais bien réelle et ne comptant qu'un seul ennemi : le Predator, un alien humanoïde décimant un à un ces soldats d'élite qui n'ont même pas le temps de comprendre ce qui leur arrive. L'une de mes scènes préférées l'illustre très bien, celle suivant la réplique « contact ! » où l'on voit toute la puissance théorique et l'impuissance pratique de l'équipe mais aussi par la même occasion les limites du Predator qui pour la première fois s'en prend une.
Cette séquence rejoint l’idée citée plus tôt selon laquelle la puissance de feu ne fait pas tout, s’avérer rusé et l’exploiter l’orgueil de son adversaire se révèlent beaucoup plus décisifs dans les affrontements. John McTierman commente à propos de cette scène de fusillade : (traduit assez librement par mes soins)
Les spectateurs et les studios veulent des fusillades dans un film d’action, j’ai donc créé cette séquence où ils sortent tous leurs armes, fauchent toute la jungle et tout ça pour rien. En fait, je voulais me moquer de la guerre et ridiculiser cet attrait pour les films bourrés de fusillades. Je voulais montrer que les armes peuvent être impuissantes, j’ai mis en scène toutes les fusillades qu’ils voulaient mais je n’ai pas non plus fait la promotion des flingues aux gamins.
Quant au casting, il est essentiellement porté par Arnold Schwarzenegger qui assure complètement le rôle du soldat baraqué à la moralité exemplaire et au courage héroïque, à une époque où il lui fallait encore conforter cette image. Sa rivalité avec Carl Weathers, jouant un personnage plus pragmatique et froid, marche plutôt bien sans non plus être exceptionnel comme veut nous le vendre le réalisateur même si je comprends ce qu’il voulait faire en évitant d’en faire un simple antagoniste. L’idée est bonne, mais l’exécution est perfectible.
Pour les rôles secondaires, Bill Duke est très convaincant en badass au grand cœur qui finit par perdre la raison mais à côté de ça j’avoue ne pas trouver les autres acteurs particulièrement notables. Ce n’est pas foiré non plus, disons que ça fait partie des quelques petites choses sur lesquelles Predator n’excelle pas. Mais à ça il faut aussi y voir des maladresses d’écriture avec par exemple des blagues pas drôles alloués à un seul personnage presque insupportable, joué par celui qui commettra l’infamie The Predator bien plus tard, mais je préfère ne pas en parler.
La plus grande réussite scénaristique résiderait plutôt dans les bases de l’univers Predator créé qui a le mérite de ne pas s’étendre en explications grossières mais en restant pleinement concentré sur le concept du chasseur ne vivant que pour la chasse. C’est un peu léger pour construire un univers dessus mais ça laisse les portes ouvertes tout en fermant l’intrigue de ce film qui n’appelle pas nécessairement à une suite, ce qui est de très bon goût.
CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆
Predator est un film d'action avec son acteur principal au sommet de sa forme, ses répliques cultes et ses scènes d’action impressionnantes qui a bien des choses en plus à offrir grâce à ambiance oppressante qui tient en haleine tout du long, un antagoniste mémorable et une mise en scène originale et élaborée. Pour ses débuts à Hollywood, McTierman à réussi avec Predator à faire naître un personnage mythique qui ne sera jamais mieux traité par la suite que dans ce film.