DILLON ! SON OF A BITCH !
( Dillon ! Sale petit enfant d'putain ! ) PAF ! Le ton est donné.
J'ai découvert ce Saint-Graal en 1991 avec mes cousins sur une VHS en VF, qu'on venait de m'offrir pour ma communion ( authentique ).
J'avais vu le 2 en salle, qui m'avait favorablement impressionné à l'époque, mais quand j'ai vu le premier opus, j'étais dans une phase d'apprentissage intellectuel : " John McTiernan = films que j'aime ".
Autant vous dire que je n'ai pas été déçu, pour un ado, ce film représente l'entertainment total. Pas de fioritures, juste des gros gaillards en sueur avec des guns maousses qui se font éviscérer les un après les autres par un Michael Myers à mandibules dans la joie et l'allégresse ! Ajoutez à ça des répliques de cinglés ( La palme, en VF revient à " Pute de pute de pute de pute ! " qui en VO était simplement : " Buddy, buddy, buddy, buddy... " ) une musique orchestro-tribale qui défouraille et des plans de jungles aériens et réglés comme du papier à musique, et vous ne débanderez pas pendant une heure quarante-cinq. Cette cassette je l'ai épuisée. Vue au moins cent fois...
Ensuite j'ai été amené à acheter le film en Laserdisc ( Deux fois ) en DVD ( Trois fois ) et en BluRay ( Une seule pour l'instant ) que je regarde religieusement autant que faire se peut.
Et maintenant que je suis un vieux crouton, et que J'analyse tout à outrance, selon les dires de mes proches, est-ce que ce film survit à cette rude épreuve ?
Carrément oui !
En combinant certaines des trouvailles formelles de John Milius sur Conan et son influence du cinéma européen, John McTiernan va proposer un film qui rend possible la jonction entre les spectateurs de cinéma populaire de base, et les critiques de l'intelligentsia !
HE'S USING THE TREES...
Dès le début, tout le monde s'accorde à dire que McTiernan est un formaliste, et que tenir le spectateur en haleine alors qu'on filme un ennemi " invisible " dans les bois, c'est pas gagné. Il y parvient grâce à ses mouvements de caméra fluides et son refus catégorique du découpage téléfilmique qui faisait des ravages à l'époque ( souvent une suite de gros plans fixes sensés montrer les différentes étapes de l'action ).
A ce sujet, le début de l'attaque du camp retranché est l'œuvre de Craig R. Baxley le réalisateur seconde équipe ( et futur auteur de Action Jackson et Dark Angel ! ) qui sortait tout droit de L'Agence Tous Risques et a irrité McTiernan pour son incapacité à se sortir du moule téléfilmique, le conduisant à supplier Joel Silver de prolonger la scène pour qu'il puisse y mettre ses mouvements à lui !
Au final, c'est pour le bien du film, parce que ça donne un second souffle à la scène et souligne la nouvelle proposition filmique de McT.
Ensuite, son ennemi invisible, il va tellement le chouchouter que quand la fille dit : " La foret est venue et l'a emmené ", même si on sait que c'est l'œuvre du camouflage optique du Predator, on se met à craindre la moindre liane ! Et le plan qui tourne autour de Schwarzy quand il réalise que le Predator se déplace dans les arbres est étourdissant de virtuosité... proprement bluffant !
Je vais arrêter là mon énumération pour aborder ce qui fait le plaisir du cerveau. Sous ses dehors de film no-brainer carabiné, Predator est une illustration quasi-nihiliste de la fameuse phrase de Nietzsche : " Celui qui combat les monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même. "
Au début, Schwarzy et son équipe ne jurent que par leur supériorité en équipement et en entrainement. C'est pourquoi sept mecs suffisent à dessouder une armada de teigneux, au début.
Ensuite, ils sont attaqués les uns après les autres par le Predator, qui use lui aussi d'une technologie qui les dépasse, première indication qu'il n'est qu'un reflet d'eux-mêmes...
IF IT BLEEDS, WE CAN KILL IT !
Face au Predator, le monstre, leur fameux équipement ne vaut plus que peau-de-zob', et dans une scène anthologique, ils déboisent vingt hectares de forêt vierge, pensant atomiser le cinglé qui a buté Jesse Ventura et Shane Black. Sur le papier, de quoi satisfaire les mâles dégoulinants de testostérone qui veulent voir des gros guerriers décharger leurs armes en gros plan, justifiant largement le budget alloué par la Fox pour cette scène. Mais sur le terrain, ils n'ont rien touché ! Ce déploiement de violence gratuite n'a servi à rien !
( J'ouvre une parenthèse, mais lisez-la quand même.
En fait ça n'a pas servi à rien, puisque le Predator a quand même reçu UNE bastos, et a laissé son sang caractéristique sur une feuille, conduisant Schwarzy a déclarer son célèbre : " S'il saigne, on peut le tuer " qui constituera ce que les professeurs de scénario appellent le Turning Point. Fin de la parenthèse. )
Du coup, les évènements vont progressivement dépouiller le héros de tous ses artifices : d'abord, il va faire des vieux pièges qualifiés de " ruses de boy-scout " puisque le Predator voit leurs pièges à eux, trop technologiques. Puis son équipe va être exterminée, et c'est à moitié nu et couvert de boue qu'il va être enfin à même d'affronter le monstre. Il s'y prépare à la dure, littéralement avec sa bite et son couteau, avant de provoquer le Predator en duel-à-mort en poussant un cri bestial interminable... Pour affronter le monstre, il s'est fait monstre !
Le combat est désespéré, mais il ira jusqu'au bout.
Et c'est cet affrontement final qui parvient essentiellement à satisfaire tant le spectateur avide de combats dingues et d'émotions fortes que le penseur esthétisant. Cette thématique du retour à la bestialité et à la barbarie côtoyant une scène d'action et de tension étirée au possible, c'est tout le cinéma de McTiernan.
YOU'RE ONE UGLY MOTHERFUCKER !
Une scene vient entériner le propos : admettant la ténacité de sa proie, le Predator va lui aussi se débarrasser de sa technologie. Il retire ses armes, et tombe son masque, pour lui aussi pousser un bon cri bestial, face à face. Car finalement le Predator n'est pas qu'un Michael Myers à mandibules, il n'est pas une incarnation du mal : il est un adversaire. Il n'agit pas par méchanceté, il chasse pour le sport, et même à la fin quand il rit à la face de Schwarzy, c'est par mimétisme et non par malice.
Voilà pourquoi Predator marque un tournant dans l'Histoire du Cinéma-bourrin Hollywoodien. Les gros plans sans âme sur des bras musclés cèdent la place à la matière grise... La même année, Paul Verhoeven nous livrait son RoboCop, et l'année d'après McTiernan récupérait le directeur photo attitré de Paul, et les monteurs de RoboCop pour nous envoyer Die Hard dans les mirettes ! ( Bon alors ensuite, cette tendance s'est réinversée, sous l'impulsion de Michael Bay et des frères Wachowski, mais ça c'est une autre histoire... )