Le lexique du temps
Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...
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le 10 déc. 2016
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Je sais déjà ce qu'on va me rétorquer. Le " blablabla" des exaltés de l'image et des joueurs de flûte (les philosophes du dimanche). Non, Denis Villeneuve ne révolutionne pas la SF. Oui, Denis Villeneuve entame une révolution technique du cinéma. Le problème est ici.
Ce type passe son temps à prendre un genre cinématographique pour en donner sa version d'artiste indépendant du montage et des couleurs. Prince de la pénombre et du plan séquence, artisan de la lenteur, Denis Villeneuve s'illustre encore comme le champion de la technique. C'est-à-dire, le champion du vide.
Mon propos est simple : prenez Interstellar, enlevez les grosses ficelles de la super-production, rajoutez élégance et sensibilité à la mise en scène, et vous obtenez Premier Contact. Rien de plus qu'une version moins mainstream d'un métrage informe reflétant une industrie à bout de souffle, en quête de sens, tourmenté par sa propre décrépitude idéologique ; comme si celle-ci se sentait fondre irrémédiablement vers une nature de créatrice de purs produits culturels, par laquelle la forme serait réellement le fond du fond, et que dans cette impasse, elle décidait d'axer ses dernières ressources vers les effets. Seulement les effets.
Denis Villeneuve, c'est ça. Un révolutionnaire de la façon d'amener du Vide. Alors, évidemment, il reprend toutes les problématiques qui plait aux fanboys de SF : le temps et l'espace, l'apprentissage, la compréhension de ce qui existe, l'espoir d'une autre vie (ici et ailleurs), le progrès, puis l'homme, l'Humanité surtout, son rapport à soi et à l'univers, etc...puis il décide de se foutre de la gueule du public.
En effet, là où Nolan (faisant avec ses capacités mentales), nous servait une résolution proprette et infantilisante des mystères de l'espace-temps, Villeneuve nous embourbe dans les limites de notre intelligence pour à peine nous laisser entrevoir l'infinité de notre ignorance.
En gros (SPOILERS) : le personnage principal acquiert la capacité de percevoir les choses comme les extra-terrestres en apprenant leur langage et rompt ainsi la linéarité de la structure de sa vie (ou de la façon linéaire qu'a notre cerveau d'appréhender notre vie? ); perturbant les règles temporelles d'enchaînement de causes et des effets (un effet présent pouvant être causé par un événement futur, typiquement). Grâce à ça, elle sauvera évidemment l'humanité d'un danger imminent et entamera une révolution dans son histoire en enseignant l'écriture extra-terrestre transmettant la capacité de ne plus être bloqué par " l'ordre des choses", cette écriture présenté comme un cadeau des aliens afin d'amener l'humanité à aider leur espèce dans des milliers d'années. C'est joli comme ça.
Le problème c'est que ce système pose la question du libre arbitre et donc de la possibilité de faire un usage actif de cette vision du temps. Le personnage principal, dans ce film, subit finalement ce nouvel "ordre des choses". Est-ce le cas pour les extra-terrestres? S'ils le subissent aussi, quel intérêt d'apporter ce pouvoir à l'être humain, puisque personne ne peut s'en servir positivement? Si la capacité de changer les choses existe, plus rien ne fonctionne, puisque l'interdépendance des événements est dorénavant étendue à un spectre temporel non-linéaire...? Alors? Voilà : la technique du mindfuck. Je vous présente la malhonnêteté à l'état pur. Le vice du divertissement à son paroxysme. Merci Denis.
Parce que tout ça, on s'en branle. Villeneuve rit aux éclats en se grattant les couilles, quand il vous entend dans les cafés brailler votre version du truc, sur les trottoirs, à vous engueuler sur la "nouvelle vision du voyage temporel" " ah non! c'est pas du voyage temporel", il a mal au ventre à force de se foutre de votre gueule. Tout ça c'est du bidon. Ça n'apporte rien de plus à la SF, ça a tout juste le mérite de synthétiser tout ce qui s'est fait depuis que le genre existe, mais c'est tout. Le reste? La sensation de jouissance que vous éprouvez en regardant ce film? Du vent. Une maîtrise totale dans la mise en scène, une esthétique minimaliste, une approche (seulement) intelligente des personnages et de leurs interactions, une musique originale et puissante, puis c'est tout.
Voilà. Voilà la nature réelle d'un film qui va alimenter pendant toute l'année les discussions des hipsters à propos de l'existence et blablabla blablabla... c'est dégoûtant. Réellement dégoûtant. Je suis écœuré de comprendre que les grands manitous du tape-à-l’œil n'ont qu'à raffiner leur camelote en plusieurs coloris différents pour chaque sociologie de consommateur afin de vendre illico et d'endormir toute une génération de comateux cérébraux, trop occupés à se rendre intéressant en préférant le " dernier Villeneuve" à " l'avant-dernier Nolan", plutôt que de saisir la mascarade publicitaire qu'est devenue le cinéma d'auteur, où tout n'est que néons, fluorescences dans la nuit, attrapes-pigeons modernes ; enfin, où tout est mort pour le Néant.
A dieu le sens et merci Denis.
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le 12 déc. 2016
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