Arrival. Premier film vu au cinéma en 2017. Je me souviens être sorti de la salle avec un amère goût de déception : j'avais beaucoup apprécié le film dans sa globalité mais avais été très déçu par les dix dernières minutes. Je m'en voulais presque pour cela car j'étais l'un des rares à avoir trouvé la fin (et, de surcroît, l'ensemble du film) assez peu cohérente dans le fond et pourtant j'aurais vraiment voulu l'aimer ce film à l'époque. Il est intéressant de voir à quel point le dénouement d'une histoire est si essentielle à notre appréciation de sa globalité. C'est un peu comme une blague : on ne retient que la chute.


Reprenons les choses depuis le début : Arrival, c'est l'histoire d'une experte en science linguiste, Louise Banks, recrutée par le gouvernement afin de déchiffrer la langue d'extra-terrestres qui viennent tout juste d'arriver sur Terre et d'établir un premier contact. Le film est donc centré sur l'établissement d'un dialogue entre Louise et les heptapodes (nom donner aux aliens aux sept pieds) : le rythme peut paraître long pour certains mais, pour ma part, j'ai trouvé le film très prenant, aussi bien durant mon premier visionnage au cinéma que durant le second. Malgré les exigences du colonel Weber, l'autorité du camp, quant à une progression rapide et efficace en vue de savoir au plus vite pourquoi les heptapodes sont venus sur Terre, Louise décide, en effet, de procéder avec ces derniers comme elle procéderait avec des enfants : cela passe par l'apprentissage des bases de la langue et demande du temps.


L'évolution de l'apprentissage est très bien rythmée, chaque rencontre apportant son lot de progrès. Pour illustrer ce propos, nous pouvons nous intéresser aux trois premières sessions. La première, très courte, est marquée par l'excitation et l'intimidation. La seconde est essentielle puisque Louise décide de recourir à l'écriture. La troisième est celle où Louise et Ian, un scientifique qui a aussi été enrôlé par le gouvernement pour prêter main forte, se présentent, par leur nom et en dévoilant leur visage. Il y a donc trois actes : la rencontre, les prémices d'un dialogue via l'écriture et le premier contact physique. À partir de là, l'étude va porter sur l'analyse des étranges symboles en forme de cercles que les heptapodes utilisent pour s'exprimer. Là encore, les progrès réalisés par Louise et Ian sont significatifs : assez rapidement, ils (ou, plus exactement, Louise) sont en mesure de communiquer par le biais de ces symboles. En d'autres termes, elle finit par assimiler leur manière de penser. Or, selon l'hypothèse de Sapir-Whorf, comprendre un langage change notre perception du monde, voire même les circuits de notre cerveau, et, en l’occurrence, du temps.


En effet, les heptapodes perçoivent le temps d'une manière différente de la notre. Pour eux, il n'est pas linéaire : comme pour leur écriture, il n'y a pas d'avant ni d'après. De ce fait, ils sont en mesure de prévoir les événements à venir. En réussissant à comprendre leur langue, Louise va ainsi réussir à voir son propre futur : l'embrasement de la boucle va même être double.


D'une part, elle va réussir à dialoguer avec les heptapodes, et ce de manière assez fluide vers la fin du film. Sur ce premier point, on pourrait presque reprocher la facilité avec laquelle Louise réussie à déchiffrer les symboles des heptatodes lors de leur dernière conversation. Cependant, cette aisance s'explique par le lien spécial qui s'est tissé entre eux : c'est avec Louise que le premier contact s'est opéré. Elle est donc désignée par les aliens comme l'interlocutrice principale. Autrement dit, et ce n'est pas une surprise, elle est au centre de l'intrigue. Cela se constate également par le fait qu'elle est le seul personnage féminin d'Arrival : mis à part une étudiante au début du film et les présentatrices des journaux télévisés, pas une seule femme en dehors de Louise n'a droit à une réplique. De plus, elle se retrouve parmi des hommes brutaux et impatients, sauf excepté le personnage de Jeremy Renner qui se veut plus calme et sensé que les militaires et les agents de la CIA. Le concernant, je trouve d'ailleurs qu'il est trop mis de côté : il fait des calculs dans son coin et n'apparaît pas essentiel à l'histoire. Certes, certains plans le montrent travailler avec Louise sur les symboles mais je trouve que sa contribution n'est pas assez mise en avant, celle-ci se révélant par moment, notamment lorsqu'il découvre le 1/12ème caché dans un amas de symboles, qui fait référence au nombre de vaisseaux qui sont apparus sur Terre. Il suit de là que l'équilibre entre les deux personnages, qui sont censés être les deux personnages principaux, penche très fortement du côté de Louise. Cette dernière est également un personnage doté d'une grande force. Plusieurs éléments convergent sur ce point tels que la détermination dont elle fait preuve pour comprendre le langage des heptapodes, malgré l'absence d'un quelconque repère sonore (le son qu'ils émettent est plus assimilable à une respiration qu'à une langue parlée), la scène où elle enlève sa combinaison dans l'anti-chambre ou le fait qu'elle soit prête à y retourner peu de temps après avoir survécu à l'explosion d'une bombe. On peut aussi constater le fait que la narration tourne exclusivement autour d'elle. Pour illustrer le mieux ce propos, il suffit de rappeler que le film est entrecoupé de flash centrés sur sa fille. Tout cela fait que Louise est véritablement exposée, tel un personnage d'un tableau mis en avant par la technique du clair-obscur. D'une certaine façon, je trouve que la scène dans laquelle un soldat, assez inexpressif, est au téléphone avec sa femme, inquiète, illustre cette idée et accentue le contraste par rapport aux autres personnages mentionné plus haut.


D'autre part, Louise va refuser de changer quoi que ce soit quant à son futur, malgré le fait qu'elle sache que la fille qu'elle aura avec Ian, Hannah, mourra en raison d'une maladie inconnue à un jeune âge. En effet, suite au premier contact physique avec les heptapodes, Louise est secouée par un flash d'une jeune fille. Cependant, il ne s'agit pas de la première fois que le spectateur la voit : Arrival s'ouvre sur une très belle séquence durant laquelle on voit Louise et sa fille, à différent moment de la courte vie de cette dernière. En dépit de la mise en garde qu'elle contient ("je ne suis plus sûr à présent de croire aux débuts et aux fins"), je suppose que, lors du premier visionnage, tout le monde était persuadé qu'il s'agissait de flash back, et non de flash forward. Ainsi le fait de revoir un flash cinquante minutes plus tard ne choque pas. Pour ma part, je me souviens avoir penser que le contact avec les heptapodes avait réveillé quelque chose enfouie chez Louise qu'elle avait choisi d'oublier. Cependant, lors de la dernière conversation, le spectateur apprend qu'il s'agit en réalité de projections du futur de Louise. Sachant cela, elle va même utiliser cette arme ou cet outil (tout est une histoire de traduction) pour faire changer d'avis un dirigeant chinois, résolu à attaquer frontalement le vaisseau apparu en Chine, en raison justement de cette histoire de traduction (le mot "arme", que les heptatodes ont employé lorsque Louise leur demande la raison de leur venue sur Terre, renvoie forcément à la guerre). Si Louise va réussir à fédérer les hommes en arrêtant le conflit (c'était d'ailleurs le but rechercher par les heptapodes), j'avoue avoir eu quelques réticences quant aux fameux flash du gala où elle rencontre le général Shang : comment se fait-il que Louise semble si ignorante de ce qu'elle a fait ? La raison la plus logique selon moi est qu'il ne s'agit pas d'un flash forward : en réalité, Louise voyage dans le temps. Et c'est en cela que le dénouement d'Arrival m'a tant dérangé lors de mon premier visionnage (et même durant le second). La faculté de voir ce qu'il va se produire doit être distinguée de celle d'interférer avec le déroulement des événements. Par exemple, juste avant de passer le coup de téléphone au général Shang, elle utilise ses connaissances du futur pour déchiffrer le message délivré juste avant l'explosion par les heptapodes (le fameux amas de symboles dans lequel se cache le 1/12ème), ce qui ne pose pas de problème. Or, lors de la scène du gala, Louise n'est plus spectatrice mais actrice : elle prend la place de la Louise du futur. Déjà admettre cela, c'est une étape. Cependant, il peut être avancé que la Louise du futur revient à elle juste après avoir entendu les derniers mots de la femme de Shang, comme si elle avait eu un moment d'absence (le regard dans le vide et le fait de mettre sa main devant sa bouche peuvent être interprétés dans ce sens selon moi). La seconde étape consiste à accepter que Shang lui livre toutes les informations dont elle a besoin pour le convaincre, dix-huit mois auparavant, de ne pas ouvrir le feu. Et c'est là que ça coinçait. Comment se fait-il qu'il soit si enclin à lui redire des choses qu'elle est censée lui avoir déjà dite (sans compter qu'il lui redonne son numéro de téléphone) ? Lui aurait-elle expliqué au téléphone juste avant de lui dire les derniers mots de sa femme, histoire de boucler la boucle ? Il est difficile d'en avoir le cœur net, étant donné qu'il n'y pas de sous-titres lors de la conversation téléphonique mais une réplique de Shang ("je ne prétend pas comprendre les rouages de votre esprit mais il était important que vous le [le numéro de téléphone] voyiez") tend à confirmer cette théorie. De plus, selon plusieurs sites, la fameuse phrase serait "dans la guerre, il n'y a pas de vainqueurs, seulement des veuves", ce qui est une phrase relativement courte (même en chinois). Or, le montage du film laisse à penser que Louise parle plus de temps qu'il n'en faut pour la dire (peut être pour se présenter et expliquer la situation), sans compter que certains passages de la conversation sont inaudibles à cause de l'intervention des agents de la CIA.


Revenons maintenant au choix fait par Louise concernant son futur. J'avoue avoir également eu quelques difficultés concernant ce dernier lors de mon premier visionnage car il me paraissait un peu insensé. Après le second visionnage, je me suis plus posé la question de savoir s'il s'agissait d'un choix plus cruel que celui de laisser Hannah devenir un souvenir qui n'a jamais existé. Finalement, dans les deux cas, la fille de Louise est condamnée en quelque sorte. Louise prend donc la décision de donner vie à ce souvenir, décision que tout le monde n'aurait pas prise, notamment Ian, qui va d'ailleurs quitter Louise après que celle-ci lui révèle qu'elle savait depuis le départ que leur fille tomberait malade. Peut être espérait-elle que le futur ne se produise pas ? Après tout, les possibilités sont multiples et il serait même triste de réaliser que tout est tailler dans le marbre, que tout est déterminé à l'avance et que le libre arbitre n'est qu'une illusion. Cela expliquerait pourquoi elle pleure lorsqu'on lui annonce que sa fille a une maladie incurable qui causera sa perte : à partir de ce moment, le réel se réalise et l'espoir meurt. Cependant, la scène où Louise explique à sa fille pourquoi Ian est parti semble remettre en cause cette théorie car Hannah n'a pas encore était diagnostiquée à ce moment. Si l'on se réfère à la séquence d'ouverture, dans laquelle on voit Hannah se faire ausculter, cette dernière semble, en effet, être d'un âge plus avancé. Du coup, la question demeure ouverte. Quant à la maladie "très rare", il est fort à penser qu'elle soit liée au fait que Louise se soit retrouvée derrière la vitre, c'est-à-dire du côté des heptapodes, où l'atmosphère semble différente de celle de la Terre.


Ou peut être que toutes ces questions ne sont pas pertinentes aux yeux des heptapodes (à supposer qu'ils en ont). Ma condition d'être humain me pousse à vouloir expliquer ces différents points en ayant pour repère le postulat qu'il y ait le passé, le présent et le futur. Pris sous un prisme différent, ces questions peuvent se résoudre tout autrement. Le fait que les heptapodes perçoivent le temps de façon non linéaire implique que tout se passe simultanément, que le passé, le présent et le futur se confondent. Cela n'empêche pas pour autant aux aliens de se repérer dans le temps (leur venu sur Terre vise à prévenir un conflit qui n'éclatera que dans des milliers d'années) mais tend à nuancer le propos tenant au voyage temporel évoqué plus haut mais également celui tenant au choix, ou plutôt au non choix, qu'avait Louise concernant sa fille. En d'autres termes, les flash qui ont fait suite au premier contact se superposent aux événements qui sont narrés dans le film. Ce n'est qu'au fur et à mesure que Louise va développer la capacité d'interaction avec ce qui est, de son point de vue, son futur, capacité qu'elle va finir par maîtriser à la fin du film lors de la scène du gala : "Louise a l'arme. Utilise l'arme. (...) Louise voit l'avenir. L'arme ouvre le temps" lui révèle l'heptapode baptisé Costello. Et c'est en étant pour la première fois dans les bras d'Ian qu'elle réalise que ce qu'elle a vu ne peut être changé. La réplique "j'avais oublié comme c'est bon d'être dans tes bras" confirme, selon moi, cela et renvoie à celle qui ouvre le film : "j'avais cru que c'était le début de ton [Hannah] histoire. La mémoire est une chose bien étrange. Elle ne fonctionne pas comme je le croyais". Tout serait taillé dans le marbre alors ? Peut être bien. Il est difficile d'en avoir le cœur net. Le temps est-il aussi subjectif que ce l'on dit ? Pas si sûr. J'ai tendance à rejoindre la réponse proposée par Arrival ("nous vivons sous l'influence du temps, sous sa disposition") mais cela tient à l'appréciation de chacun.


L'analyse est un exercice intéressant car c'est en écrivant que j'ai pu mieux comprendre le film et même faire la paix avec le dénouement qui m'a tant gêné durant mes deux visionnages, et qui continuait de me déranger lorsque j'ai commencé sa rédaction. En somme, Arrival est un film de science-fiction intelligent, lent mais prenant, mais surtout très intéressant à décortiquer, qui profite d'une réalisation soignée et d'un bon casting (même si, encore une fois, tous les feux des projecteurs sont focalisés sur le personnage d'Amy Adams) ! 8/10 !


Note initiale : 5/10

vic-cobb

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