De Mon trésor, à La visite de la fanfare en passant par quelques expériences françaises, Ronit Elkabetz n'excellera jamais autant que dans ses propres films. Beauté brute de tragédienne, l'actrice oscille entre désespérance et acharnement explosif et rend hommage à toutes ces femmes en lutte contre une société aux traditions tenaces.
Communication détournée, sentiments refoulés et liens qui s'étiolent face aux frustrations, Prendre femme suit la relation quotidienne de Viviane et de son mari, en prise avec le besoin d'émancipation, où l'enfermement familial et la possibilité d'une échappatoire par le retour d'un amant, poussera cette femme dans un retranchement hystérique. L'objectivité s'efface face à un quotidien pesant, venant rompre les silences de sa profonde lassitude. C'est également l'occasion de marquer le répétitif, passant de la course matinale à l'éducation des enfants, à une activité salariée à domicile, où les voisines s'invitent aux sympathiques commérages, mais où les moments de réconfort ne se trouveront qu'à l'extérieur, lors d'un rendez vous secret, ou de souvenirs heureux.
La scène d'introduction, petite merveille immersive, s'attarde longuement sur le visage de Viviane, absente et au silence évocateur, guettant les réactions face à la vindicte familiale, pour introduire par de savantes prises de vue l'ensemble des interlocuteurs s'immisçant dans l'intimité du couple. Chacun y va de son commentaire, laissant la principale intéressée en dehors des décisions.
Passant d'un cadre serré, à une cuisine tout d'un coup encombrée, avant d'ouvrir sur le salon où le mari attend dans le noir, stoïque et silencieux, témoin de tout ce qui se dit, en attente du miracle de réconciliation. La solitude face au nombre et une belle-mère fantomatique garante d'un semblant de normalité, vient renforcer le portrait de la condition féminine.
Malgré un aspect redondant et excessif sur le profil de Viviane, ce qui fera la réussite du Procès de Viviane Ansalem est déjà à l'œuvre avec le regard incisif sur la société et ses codes mais l'aspect satyrique et l'humour en moins. Le procès est l'aboutissement d'un travail de plus de 10 ans, prenant le contre pied d'une société misogyne et fière de l'être, par un délire de joutes verbales jubilatoires, souvent hors sujet, parfaite métaphore du dialogue de sourd.
Simon Abkarian impeccable de retenu et d'incompréhension, que l'on retrouve sur les deux films suivants, excelle dans son personnage dépassé. Survolant les situations avec un calme olympien, il n'en est pas moins buté, se réfugiant dans les traditions et les prières à tenter de contenir le départ annoncé de son épouse, aux émotions incontrôlables, et tout autant en difficulté face au patriarcat.
Avec Les 7 jours second opus des drames familiaux et des retournements de situations, on apprécie les qualités manquantes aux exercices français de portrait de famille, et quelques dialogues décalés qui manquent à Prendre femme. Tout en subtilité, l'intrigue ne révélera qu'au compte goutte les véritables motivations et le déchaînement de rancœurs, encore une fois en contradiction avec l'image supposée dès l'introduction d'une famille unie.
Viviane qui a quitté le domicile conjugal, s'efface aux profit de la fratrie et de leurs circonvolutions verbales qui finiront de prendre le pas sur le deuil et sur les bonnes manières. Son mari (Abkarian) qui ne change pas, guette l'opportunité de ramener Viviane au domicile, et aura bien du mal à faire respecter les traditions, face à une fratrie de plus en plus incontrôlable.
Les plans d'ensemble ciblent parfaitement ce brouhaha aux intérêts divergents. De la banqueroute financière du défunt frère, où chacun cherchera une solution sans pour autant se démunir, aux relations amoureuses en passant par l'insémination artificielle, les portraits de femmes fortes, à ceux plus terre à terre, de jeune homme rebelle à l'aîné en difficulté, Ronit Elkabetz s'amuse du drame des contradictions entre coutumes et désir d'évolution.
A terminer avec Le procès de Viviane Amsalem qui a remporté le prix du meilleur film à la cérémonie des Ophirs et fait l'effet d'une petite bombe dans l'univers bien réglé rabbinique, sans changement pour autant, à ce jour...
J'en profite pour rappeler au film Les citronniers de Eran Riklis, autre sujet, mais même combat.