Les premiers pas d'un visionnaire
Take the Money and Run est le premier film de Woody Allen. Dans l'histoire du cinéma c'est donc un événement, tant le génie d'Allen est indéniable à ce jour. Ce sont les esquisses de ce que sera le cinéma de Woody Allen pour le reste de sa carrière, et quelle belle esquisse que ce film, comédie maîtrisée de bout en bout, dont la cinématographie n'a aucun parallèle à travers l'histoire. Take The Money and Run est une épopée moderne, cadrant Virgil Starkwell, un enfant devenu criminel qui retombe dans ses travers quoi qu'il fasse le poussant au méfait, malgré la rencontre de l'amour de sa vie, Louise, étant de son côté quoi qu'il arrive.
Ce qui m'a frappé dès les premières minutes, c'est la voix-off terriblement objective commentant les images comme une sorte de reportage. Cela ressemble un peu à la voix-off de The Killing de Stanley Kubrick. La voix-off acquiert alors à Virgil une sorte de fatalité transcendante. Scruté dès sa naissance (comme d'autres personnages : Louise), la répartition des informations depuis l'enfance donne une profondeur forte aux personnages, une vraisemblance, qui nous fait les apprécier par cette épée de Damoclès qui vacille au dessus d'eux.
Il faut noter que le film est hilarant, les situations sont écrites parfaitement (notamment la scène du briquet-pistolet ou la fouille de Virgil en prison) comme le sont les dialogues, qui renforcent l'ampleur comique de ces situations (première scène entre Virgil et Louise, les dix ans de Virgil en prison ou encore l'annonce de l'enfant de Virgil). La scène du braquage est vraiment remarquable, le quiproquo du billet change complètement le ton du hold-up, un des leitmotiv du film, que l'on retrouve aussi dans le second braquage et le passage du vote.
Woody Allen écrit par conséquent un scénario très épais, bourrés de clichés transformés en situations inédites avec des personnages dont le relief est très profond, et creusés par les situations qu'il met en place ayant un sous-niveau narratif beaucoup plus dense. Le montage lui, est très bon, que ce soit le mixage sonore, les transitions ou même le choix de coupes, le rythme du scénario est parfait, n'oubliant aucuns détails.
Aussi, la qualité de la bande-son permet de renforcer la polyvalence de genres dans ce film : musique de suspens pour des poursuites, musiques douces pour de situations romantiques, musiques dramatiques et comiques pour leurs situations propres. Woody Allen alterne des situations dramatiques et comiques dans les même scènes comme personne avant lui, se synchronisant avec le comportement de Virgil, le protagoniste. On retrouve même un passage aux parallèles faisant penser aux westerns où Virgil est au bagne, mais la situation en est toujours aussi drôle (marteau sur Virgil, fouet sur l'ombre, enfermement avec représentant d'assurances).
La mise en scène est vraiment maîtrisée, la composition des plans marchent très bien. Allen alterne la mise en scène avec des photographies d'archives durant la première partie du film, et à travers la totalité du film on retrouve la présence d'interviews de l'entourage de Virgil, ce qui renforce cet effet de reportage déjà donné par la voix-off, concept passionnant. Woody Allen joue et détourne ces interviews, n'ayant aucuns intérêts dans l'histoire, il critique le vide de reportage que l'on a pu faire et que l'on fait toujours. Le détournement passe aussi par la transformation de situations dramatiques (Martyr étant enfant, folie du grand-père) en situations comiques, toute la qualité scénaristique de Woody Allen est à l'oeuvre pour la première fois. C'est un génie, ce film montre la culture de son auteur (référence à Citizen Kane évidente, hommage au muet avec beaucoup de quiproquo, d'ironies dramatiques et un protagoniste ressemblant beaucoup à Charlot) et sa qualité d'écriture, qui j'apprécie tout particulièrement. Allen se joue du cinéma classique afin de créer son propre cinéma. C'est un film qui brise la barrrière-réalité fiction. Filmé en documentaire, il en reste une fiction. Mais c'est surtout un film hilarant et décalé du début jusqu'à la fin avec des situations dignes du nom de son auteur, écrites prodigieusement et qui forment un récit dense mais toujours vraisemblable, profond, intelligent et qui fait sourire. La légende de Woody Allen est lancée.