Mr. Nobody est un oeuvre incontournable et mythique du cinéma contemporain. L'histoire d'un jeune garçon tiraillé entre sa mère et son père est d'une part universelle et d'autre part intemporelle, formidablement bien exprimé dans ce film.

Pour commencer, Jaco Van Dormael crée une narration incroyable qui traite du choix et des possibilités qu'il en résulte. Le plus impressionnant est la facilité qui se dégage de l'annihilation de la représentation temporelle dans une narration explosé, allant de paire avec le personnage de Nemo, divaguant dans les temps des personnages avec qui il entre en contact, essayant de trouver un moyen de façonner une vie parfaite. La résolution des enjeux narratifs se fait d'une façon tellement fluide dans un ordre dionysiaque à souhait, qui correspond à l'univers symbolique développé à travers le film, et donc qui est un parti pris artistique d'une valeur inestimable, tant elle est réussie.

Aussi, les références philosophiques s'enchaînent sans jamais être dans la surenchère ou l'égoïsme d'une connaissance supérieure. Van Dormael, naturellement, nous introduit au mythe de la réminiscence de Platon dès les premières minutes du film pour en faire un enjeu majeur de l'histoire. On retrouve aussi tout la philosophie de l'"Effet Papillon" qui est expliqué et utilisé de façon singulière mais toujours juste, la place du Moi face à Autrui et au monde que je trouve, personnellement, fascinante et qui est un plaisir à voir quand un réalisateur s'empare de ce problème. Le réalisateur insiste beaucoup aussi sur la figure de l’œil, le symbolisme de la fenêtre de l'âme ou encore du visage, masque social et caractéristique majeur de l'humain. Par tout ces éléments, Mr. Nobody possède une dimension mystique de pensée aussi forte, que déroutante.

La vision du monde dans Mr. Nobody est rafraîchissante : Van Dormael arrive à nous questionner sur la nature de l'homme et de ses choix en nous développant des thèses scientifiques complexes traitant du temps, de l'univers ou encore de la peur originelle. Je trouve qu'il y a un grand lien avec la filmographie de Truffaut dans le langage corporel ou même dans les thèmes abordés (Némo ressemble beaucoup à Antoine Doinel (Les 400 Coups, Baisers Volés) durant son enfance).

De ce fait à un niveau narratif, le film est un extase de pensées. Pour ce qui est de la mise en scène, je la trouve vraiment intelligente, chaque scène permet au spectateur de vaciller entre chaque vie possible, et ce choix de mise en scène révèle des vies que s'imagine Némo s'entrechoquant comme dans la pensée humaine de chacun. Le film sonde parfaitement les valeurs humaines de la pensée extrêmement difficile à traiter tant la pensée est sans limite, et justement, dans ce film nous sentons ce pouvoir illimité de la pensée sur le monde. Alors, c'est une mise en scène que l'on ne voit nul part ailleurs où un jeu avec le spectateur se crée afin de transporter des émotions fortes (Scène où Némo (adolescent) se jette de la fenêtre après le départ d'Anna). C'est alors un film sur la projection cinématographique de la pensée, quelque chose d'unique, que personnellement je n'ai jamais vu avant ce film, la mise en valeur de la beauté de l'humain en tant qu'espèce mais aussi en tant qu'individu a rarement été aussi forte que dans Mr. Nobody.

De plus, chaque personnage est extrêmement touchant. Nous sommes à la limite de la brisure du 4ème mur, tant personnellement j'avais envie d'entrer dans l'univers de Némo pour aider ses parents, ses femmes, lui-même. Et justement, l'identification à Némo est tellement forte et le fait que l'on traverse la vie de Némo de façon non-chronologique, transforme le personnage qui devient un miroir du spectateur, il deviens un personnage universel, protéiforme, omniscient et omniprésent. Jared Leto (ou même les autres interprètes de Némo) souvent dans la retenu souligne ce concept que le protagoniste se façonne en quelque chose qui transcende le simple personnage pour traverser la fiction et devenir une personne par le biais de notre regard et de notre identification. C'est pourquoi je pense que le personnage de Némo est une révolution dans l'écriture scénaristique d'un personnage, il est tous les archétypes à la fois, toutes les figures à la fois, en somme, une personne et plus un personnage.

Les partis pris visuels sont remarquables et étayent aussi le propos du film comme l'est la bande-son, d'une qualité incomparable d’éclectisme. On retrouve le symbolisme de la répétition (nombre incalculable d'éléments semblables dans les décors, répétitions des scènes à travers le film) mais aussi de l'enfermement (carreaux, surcadrage, barreaux) avec des couleurs froides qui correspond surtout au monde où Némo n'existe pas. Par opposition, on retrouve des angles beaucoup plus arrondis et doux avec des couleurs chaudes (référence au rouge constant) pour les moments plus délicats et heureux de Némo. Ce que je trouve très astucieux est le choix de tourner l'image après l'une des morts de Némo où il se fait enterrer. La scène est de travers, et l'on ressens tout le travail du metteur en scène à travers cela ou encore, très astucieux, les arrêts sur images quand Némo écrit, renforçant le thème de la représentation de la pensée par le cinéma. Un des autres thèmes récurrent du film est celui du reflet et de la figure du double trompeur, qui se traduit par l'utilisation de miroirs répété ou encore par des transitions qui traduisent d'une démultiplication trompeuse (Travelling arrière sur la carte postale pour passer d'une vie à une autre). Mr. Nobody crée donc un univers grandiose, où une mosaïque d'émotions fortes s'enchaîne sans laisser de répit au spectateur. La relation entre Némo et Anna adolescent en est la meilleure des preuves, tellement sincère et touchante.

Jaco Van Dormael façonne une fresque mythique qui passe par la romance, la science-fiction, l'anticipation et le drame. C'est l'arbre géant de la Vie où chaque branche est une vie possible mise en oeuvre par un architecte de l'imaginaire, Némo (diégétiquement) et Van Dormael (filmiquement). Le choix final du protagoniste permet de ne rien laisser en suspens, il décide de son parcours : En raison de la difficulté insoutenable du choix qu'il doit faire, il laisse à la nature le choix de sa propre vie, ce qui aura des conséquences qu'il connait déjà, mais qu'il arrive à accepter car la résolution se fait par Deus Ex Machina car seule une intervention extérieure peut juger de son sort. Mr. Nobody est donc un film qui révolutionne le cinéma moderne dans sa capacité à penser les possibilités cinématographiques, la limite entre la fiction et le réel et le traitement de chaque élément de sa narration.

Créée

le 6 févr. 2015

Critique lue 1.9K fois

5 j'aime

Victor Galmard

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

5

D'autres avis sur Mr. Nobody

Mr. Nobody
Bleh
5

Critique de Mr. Nobody par Blèh

A noter que j'ai vraisemblablement vu une version longue (environ 2h40), probablement celle originellement désirée par le réalisateur, forcé de couper son film pour le sortir. Le résultat est mitigé...

le 27 juil. 2010

79 j'aime

19

Mr. Nobody
drélium
5

Inexistance

Je suis sûr que j'aurais adoré ce film il y a 15 ans, le genre de mind fuck SF fashion avec pleins de théories scientifiques universelles comme on les aime qui se mixent en un résultat esthétisant et...

le 20 août 2013

72 j'aime

6

Mr. Nobody
Devotchkaia
8

Critique de Mr. Nobody par Devotchkaia

Bon, mon avis ne peut être que très contradictoire. Je n'ai aucune idée de la note a mettre a ce film. Il a été une torture émotionnelle pendant deux heures et la fin a été un véritable...

le 1 août 2010

69 j'aime

10

Du même critique

The Leftovers
Victor_Galmard
10

"We Are Living Reminders" - Fulgurance d'émotions démiurges

Les protagonistes et anti-héros de cette prodigieuse série créée par Damon Lindelof sont les délaissés, ceux qui restent ayant perdus des êtres chers qu'ils aimaient. Ici c'est leurs sentiments de...

le 9 sept. 2014

8 j'aime

4

Mr. Nobody
Victor_Galmard
9

L'Architecte de l'Imaginaire

Mr. Nobody est un oeuvre incontournable et mythique du cinéma contemporain. L'histoire d'un jeune garçon tiraillé entre sa mère et son père est d'une part universelle et d'autre part intemporelle,...

le 6 févr. 2015

5 j'aime

Blue Valentine
Victor_Galmard
8

Blue Valentine

On remarque dès les premières minutes une esthétique remarquable qui va faire la force de la filmographie de Derek Cianfrance. La photographie et les couleurs sont sublimes, spécialement le vert de...

le 19 juin 2015

2 j'aime

1