Nouvelle variation sur la question du point de vue, Presence joue habilement avec les renversements, convoquant quelques partis pris déjà abordés, mais en les fusionnant pour une nouvelle approche. Ainsi de l’idée de prendre le point de vue du fantôme (ou, potentiellement, du monstre représentant l’altérité effrayante pour les personnages et le spectateurs), centre du très beau et marquant A Ghost Story de David Lowery, et le combiner au filmage en caméra subjective, procédé de la célèbre ouverture d’Halloween, ou du récent In a Violent Nature.
Soderbergh, qui a toujours apprécié s’offrir, entre deux grosses machines hollywoodiennes, de petites parenthèses conceptuelles, met donc en place un dispositif d’autant plus intéressant dans son exposition qu’il laisse le récit se dévoiler par fragments, obligeant le spectateur à dresser quelques pistes et se perdre dans des suppositions fallacieuses. C’est, en somme, le film qu’aimerait encore pouvoir refaire Shyamalan aujourd’hui. L’écriture reste certes quelque peu lacunaire sur certains points (comment expliquer, par exemple, que le spectre puisse intervenir sur des objets physiques mais se révèle totalement impuissant à agir lorsque la situation devient gravissime ?) et la progression du récit ne manque pas de lourdeur dans les motivations d’un personnage qu’on pourra qualifier de « méchant ». Mais la majeure partie du film se joue à la marge de cet apogée un peu raté.
L’essentiel du film consiste surtout à proposer une expérience de voyeurisme, la présence se mouvant d’une pièce à l’autre, observant les conversations et les agissements les plus intimes des occupants. Les plans-séquence filmés à l’ultra grand angle génèrent une immersion étrange, accentuée par la fluidité des mouvements d’une pièce à l’autre, qui déréalisent le regard traditionnel et rendent palpable le flottement spectral. L’exploration méthodique de l’espace et le portrait de la famille forment un intéressant complément à la récente expérience Here de Zemeckis, où le voyeurisme était rivé à un unique plan fixe. L’idée est pourtant identique : capturer l’essence de la vie des occupants, dans laquelle se dessine une angoissante oppression, le portrait d’une famille dévorée par ses non-dits, son culte de la réussite et son incapacité à regarder ses recoins obscurs. L’incarnation de la présence est ainsi le contre champ parfait, une forme de subconscient qui ne demande pas à être vu, mais dévoile à l’observateur tout ce qui se joue sans être assumé, explicité ou avoué par les principaux concernés. La mère (très convaincante Lucy Liu) agressivement accrochée à sa façade et décidée à pulvériser tout ce qui pourrait la maculer, encourage ainsi son fils à la réussite dévoratrice, tout en broyant un père qui se voudrait aimant face à une fille ignorée et tentée par les conduites à risque. Un noyau névrotique comme tant d’autres, où personne ne s’écoute vraiment, et où le silence de l’observateur, rivé au placard ou derrière les vitres, vaut tous les discours.
L’ultime twist parvient sur ce point à racheter les manquements qui précèdent, parce qu’il justifie les biais d’observation, et explique la subjectivité d’une caméra, dont le voyeurisme, les mises au point, et la pudeur occasionnelle révèlent le regard d’un ange gardien phagocyté par la mauvaise conscience, et dont l’empathie rejoint celle du metteur en scène en surplomb.