Rappelons ce qu’écrivait Pauline Guedj dans son excellent essai sur Soderbergh, Steven Soderbergh, l’anatomie des fluides : « Un artiste versatile, pragmatique, dont la carrière n’est pas dictée par une direction esthétique prédéfinie, mais plutôt par une méthodologie du cinéma qui fait de chaque film une expérience unique, déterminée à la fois par la teneur de l’histoire et par l’aventure du tournage ». Même si sa filmographie est composée de quelques véritables chefs d’œuvre, de quelques ratages complets et de pas mal de films « entre les deux », on se doit d’aller voir le « dernier Soderbergh » quand il sort, car peu de réalisateurs manifestent une telle passion pour le cinéma et pour l’expérimentation. Presence, son film de 2024 qui vient de sortir chez nous, ne fait pas exception… en dépit d’une BA trompeuse destinée à attirer dans les salles les aficionados des films Blumhouse (ce qui fera que pas mal de spectateurs déçus de ne pas avoir leur dose de « jump scares » quitteront la salle durant la séance à laquelle nous étions !)
Le point de départ de Presence est le plus classique qui soit : une famille américaine traditionnelle, avec une fille et un garçon encore adolescents, mais plutôt aisée (et où c’est clairement la femme – Lucy Liu, qu'on a plaisir à revoir – qui porte la culotte), emménage dans une grande maison sombre, qui se révélera rapidement habitée par une « présence ». Le film ne suivra pas ensuite les codes habituels du genre... mais l’une des idées de mise en scène est que nous soyons « à la place du fantôme » pendant tout le film : si l’on se rapproche de ce que l’on a déjà vu dans A Ghost Story de David Lowery, la mise en pratique de cette idée semble d’abord un peu lourdingue, mais elle prend peu à peu son sens alors que le scénario malin du vétéran David Koepp (qui a travaillé avec De Palma, Spielberg, et bien d’autres…) nous prend dans ses filets. Ensuite…
… Il ne vaut pas mieux trop en savoir à l’avance sur le sujet du film, et faire fonctionner ses méninges pour anticiper la jolie révélation finale. Il y a d’ailleurs quelque chose de très « stephenkingien » dans Presence, et ce n’est évidemment pas un défaut… Car la bonne surprise, c’est que le propos de Koepp et Soderbergh – comme souvent chez Stephen King, justement, adepte de la radiographie de la société US – est des plus sérieux, et si leur film n’a absolument rien d’effrayant pendant 90% de son déroulement (d’où l’impatience et l’irritation des spectateurs « abusés »), il culmine dans une avant-dernière scène absolument terrible, qui ébranlera même les moins sensibles. On se rend compte alors que Presence nous a offert en douce un commentaire pertinent sur des dérives comportementales actuelles… qui, poussées à l’extrême comme ici, sont plus effrayantes que la présence d’un fantôme.
Bref, un programme plus ambitieux que la modestie du film le laissait présager, ce qui constitue quand même l'une des bonnes raisons d’aller encore au cinéma. Pour être surpris.
On attend maintenant de pieds ferme le prochain Soderbergh (Black Bag, prévu pour le mois de mars)…
[Critique écrite en 2025]
https://www.benzinemag.net/2025/02/07/presence-de-steven-soderbergh-lhorreur-moderne-nest-pas-la-ou-on-lattend/