Trois ans après Le Cobaye, fable aujourd'hui datée mais pas inintéressante sur la réalité virtuelle, Brett Leonard est de retour pour continuer d'explorer cette avancée technologique. Dans un futur que l'on devine proche, Parker Barnes (Denzel Washington) est condamné à perpétuité pour le meurtre du terroriste Matthew Grimes mais également de plusieurs journalistes présents sur la scène de crime. Si Barnes fut si extrême dans sa manière d'officier la justice, c'est que le bad guy en question venait de séquestrer puis d'assassiner sa femme et sa fille. Alors qu'il purge sa peine, Barnes est sollicité pour prendre en chasse une intelligence artificielle insérée dans un androïde humanoïde qui s'est fait la malle. Il s'agit de SID (Sadique, Intelligent, Dangereux), composée de 183 personnalités de tueurs en série, dont son ennemi juré, Matthew Grimes. Et cette dernière personnalité risque bien de ressortir du lot pour narguer son ancien bourreau.
Là où la réalité virtuelle était le cœur du script du Cobaye, elle n'est ici qu'un artifice de luxe qui cache un film d'action bourrin comme on en fait plus. Une ligne principale, un gentil contre un méchant, une course folle sur deux jours et voilà un programme bien rempli. Avec 30 millions de dollars à sa disposition, Leonard peut cette fois-ci voir les choses en grand. Clairement influencé par le récent succès de Terminator 2, que ce soit au niveau du scénario (la traque d'une machine) ou en terme d'effets spéciaux (morphing et régénération des plaies), le film parvient pourtant à sortir du lot, grâce à l’opiniâtreté de son réalisateur, désireux d'explorer le terrain encore largement vierge sur grand écran de la représentation du virtuel. La scène d'introduction est avant tout pensée comme un jeu vidéo grandeur nature, tandis que le final brouille les pistes entre réalité et monde numérique. Cependant, après une première demie-heure férue de technologie, l’illusion s'évapore. Dans la lignée du classique de Cameron ou d'un Speed sorti l'année précédente, Programmé pour tuer se veut avant tout un actionner nineties bien calibré, au schéma vu et revu. Exit l'argument science-fictionnel pendant un bon bout du métrage ; l'ossature est celle d'un ancien flic qui se trouve à nouveau confronter aux méthodes d'un ennemi déjà affronté par le passé. Lorsque la fille de sa coéquipière est kidnappée, se dessine alors une seconde chance, celle de ne pas reproduire les erreurs du passé.
Cela affaiblit-il le film pour autant ? Absolument pas. Même si on regrette que le sujet ne soit pas davantage creusé vu les possibilités offertes, son rythme enlevé et ses scènes d'action pétaradantes rattrapent la faiblesse de l'écriture. Bien qu'assez classique, le final amène un petit twist bienvenue, sûrement novateur à son époque. On profite également du cabotinage excessif du jeune Russell Crowe dans la "peau" d'une intelligence artificielle perverse. Impossible d'oublier ces séquences complètement folles où il compose une symphonie via les pleurs de ses victimes en boîte de nuit avant de s'afficher hystérique à un match de catch, toujours à la recherche d'une notoriété grandissante. Dans le sillage du chef d’œuvre Tueurs Nés d'Oliver Stone, le film illustre cette course à l'audimat et des médias continuellement avides d'une violence télévisuelle décomplexée. En face lui répond le toujours très sérieux et austère Denzel Washington, porte flingue iconique à en devenir.
Plutôt mal aimé, voir surtout oublié, Programmé pour tuer donne une certaine consistance au travail de Brett Leonard. On se gardera bien de lui attribuer le titre d'auteur, mais il a clairement cherché à creuser les possibilités offertes par la réalité virtuelle au cinéma. Là où Le Cobaye se voyait essentiellement comme une extrapolation du jeu vidéo, du ressenti du joueur, pouvant par répercussion ennuyer le spectateur, il parvient cette fois-ci à opérer une greffe beaucoup plus concluante, rendant poreuses les frontières entre les deux mondes. Mineures mais pas méprisables pour autant, il est à parier que ses expérimentations, au même titre que celles de Bigelow la même année avec son superbe Strange Days, ne sont pas restées lettres mortes les années suivantes.
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