Promesse
7.4
Promesse

Film de Yoshishige Yoshida (1986)

Symboliquement, c’est un film qui commence par la fin, avec la mort de sa principale protagoniste. Le cadavre de cette dernière est observé, autopsié, embaumé et ultimement mis en bière. À partir de ce moment commence le long retour en arrière qui donnera la réponse à la question : « comment en est-on arrivé là ? »


Rapidement, les hypothèses les plus fantaisistes sont éclipsées par le prosaïsme des situations évoquées. C’est de la vieillesse dont il sera question. La vieillesse et son corollaire souvent inéluctable : la sénilité. C’est avec un naturalisme très cru mais jamais vulgaire que Kiju Yoshida filme cette déliquescence. Perte de la motricité, douleurs chroniques, dépression chez la personne qui prend conscience de la charge qu’elle fait peser sur ses proches… Rien ne nous est « épargné » en somme, et pourtant Promesse ne tombe jamais dans le misérabilisme primaire, le tire-larmes facile. Le regard porté par la caméra est suffisamment neutre, « dur » pour nous mettre à distance avec les événements qui se produisent, tout en restant au plus proche des lieux du drame.


La maison familiale, cocon protecteur que Yoshida apprécie mettre en images, est ici à l’honneur. Comme souvent au Japon y vivent les enfants, leurs parents mais aussi leurs grands-parents. Les générations cohabitent donc, mais pas pour le mieux. Le poids des anciens accable les plus jeunes et désempare les parents. La famille est dysfonctionnelle. Le père, la cinquantaine, a trompé sa femme il y a quelques temps et reprend sa liaison avec son ancienne maîtresse. La mère, au fait de cette infidélité, ronge son frein et tente tant bien que mal de s’occuper de la grand-mère, laquelle sombre dans la démence et lui mène la vie dure. Le mari de celle-ci perd aussi la tête, projette de se suicider mais n’y parvient pas. Les enfants, eux, voient d’un œil hagard ce triste spectacle se dérouler sous leurs yeux (en même temps qu'ils se rebellent contre l'autorité parentale, signe d'un changement des mœurs).


Car au-delà de la vieillesse, c’est aussi un Japon en profonde mutation économique et sociale que le cinéaste nous donne à voir. Pays désormais pleinement capitaliste, formaté, américanisé, à l’image de cette télévision qui abreuve en permanence les enfants du logis en musique occidentale, ou de ces motards qui manquent de renverser le pauvre grand-père le long d’une route asphaltée. Paysages d’acier et de béton, gratte-ciels dans lesquels le marché dicte sa loi intraitable faisant passer le profit et la productivité avant l’individu (dans le cas du père, récemment muté à un poste subalterne malgré son âge avancé, il y a renversement de la valeur de l’ancienneté, pourtant centrale dans la culture asiatique). Un Japon qui n’a pas non plus totalement oublié la guerre et ses sacrifices. Elle demeure présente dans les esprits de chacun, comme un rappel désuet que jadis la mort se faisait jeune et glorieuse, au service de quelque chose.


La perte de repères décrite par Yoshida n’est donc pas seulement physiologique et psychique. Elle est également du ressort de la société dans son ensemble, confrontée tant bien que mal à un problème auquel elle ne peut apporter de solution viable. Un problème face auquel même la loi se trouve dans l’impasse comme le remarque le chef de la police à la fin (fin d’ailleurs magistrale !).


Promesse est un film difficile mais délicat, profondément sensible, et duquel il peut être extrait de multiples lectures : un grand Yoshida (en couleurs !).

grantofficer
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le 17 juin 2021

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