J'ai été bien idiot d'avoir fait l'impasse lors de sa sortie, car voilà, Promised Land est de loin le plus beau film de cette triste année cinéma.
Sous couvert d'une modestie et d'une simplicité très curieuses au premier abord, le film déploie vite, sans renier cette simplicité de fabrication (la mise en scène y est totalement invisible, par exemple, ce qui est pour un tel sujet, une très bonne chose) une multitude de pistes toutes gorgées d’intérêt, et qui ouvrent à chaque fois de nouvelles brèches sur l'exploration du territoire américain. C'est aussi un film profondément humain, profondément humaniste, et vraiment totalement bouleversant.
L'essentielle des scènes qui font avancer Promised Land dans son intrigue sont des scènes de dialogue, où chaque personnage a la fonction de celui qui doit convaincre ou celui qui écoute les arguments, les affûte, les contre ou les acceptent. Mais l'essence du film se situe bien ailleurs, précisément dans les regards de ces personnages en train d'argumenter, se posant des questions sur où ils se situent sur cette échelle fantasmée du bien et du mal, en espérant être du bon côté, à quoi bon faire ce qu'ils sont en train de faire et pourquoi. Le boulot de Steve, c'est de convaincre grosso modo les gens à contribuer au saccagement de la planète contre une grosse somme d'argent. L'intelligence de Matt Damon, John Krasinski (scénaristes) et de Gus Van Sant (cinéaste), c'est de nous mettre directement dans le regard de Steve. Cet homme qui répète "I'm not the bad guy" inlassablement, pour se prouver constamment son humanité, se réveille peu à peu et se questionne. C'est ce cheminement moral là que le film prend à bras le corps, pour devenir une oeuvre au final énormément plus complexe que ce qu'elle fait mine de nous servir.
Et ces longues scènes de dialogue, interminables, techniques, désincarnées, où l'on parle affaire et argent deviennent presque secondaires dans nos esprit : ce sont celles qui sont les plus dépourvues de vie, d'humanité. Pourtant, l'impression une fois le film terminé est que le film ne parle que de ça, ne cesse de louer l'humanité de ses personnages. Pourquoi cet étrange paradoxe ? Peut-être parce que Promised Land n'oublie jamais de s'offrir des courts échappatoires poétiques et mélancoliques (amour naissant, manque d'une famille, anecdotes venues de l'enfance, contemplation d'un paysage) ponctuant chaque nœud de l'intrigue, embûches inévitables sur le chemin des personnages et qui nous révéleront leur sincérité si ambiguë. Promised Land est un film qui aime ses personnages, ne perd jamais une occasion de rappeler que leurs faiblesses, leurs erreurs, c'est aussi ce qui fait qu'ils sont des êtres humains, et qui rappellent que la frontière entre le bien et le mal n'a absolument pas lieu d'être : Good man/Bad guy, tout cela ne veux plus rien dire, même les actes perpétrés ne le signifient plus. La barrière a disparue, au milieu il n'y a qu'un paquet d'argent que l'on distribue ou qu'on ramasse, en croyant aider les autres et s'aider soi-même, au mépris des catastrophes que nous auront soigneusement préparées, sans le savoir ou pas. Il n'y a pas de place pour le manichéisme dans ce monde, ce schéma simpliste est brouillé, flouté, plus rien de tout cela n'existe, il ne reste que des hommes. Et l'idée la plus belle du film est de dire que tant mieux, finalement. Cette absence de simplicité, disons plutôt de simplisme des figures humaines, est la seule chose qui peut créer un doute, une remise en question, un dialogue avec l'autre. C'est ce qui nous fait avancer. Ce qui permet à Steve de dire qu'il s'est trompé. Était-il cet opportuniste attiré par l'argent tel qu'on l'avait aperçu au début où l'incarnation d'une sincérité heurtée à la pourriture d'un système qui le dépasse ? On ne le saura jamais et c'est tant mieux. Son discours final, poignant, avec tout au bout une trouble question irrésolue, révèle à la fois la complexité du film-dossier et la sensibilité humaine chère à un certain cinéma américain. Et c'est par ce prisme là que le film devient ce qu'il n'ambitionnait même pas, dans sa modestie totale, d'incarner à l'arrivée : Promised Land est un splendide film américain, sur l'Amérique, son vaste territoire et ses dilemmes moraux incessants, ainsi que le dialogue constant entre les deux. Car Gus Van Sant n'a rien de plus beau à filmer qu'un homme dans un plan moyen qui regarde de dos un paysage et le vent. Un homme qui doute, mais avant tout un homme. Il est filmé comme il doit être, ni bon ni méchant, à une hauteur qui est aussi la sienne. On le regarde être un homme, et c'est tout un spectacle en soi. Tout simplement.