Faces of a woman
Alors que de nombreuses études historiques tendent à définir des modèles idéologiques dominants dans la fiction (capitalisme, phallocratie, racisme, impérialisme, etc.), celle-ci n’en est pas moins...
le 28 mai 2021
56 j'aime
7
Ecran large. Gros plan sur des corps d'hommes moyens irrigués par une couleur électrique vive. Un ralenti de leurs mouvements sur une musique extra-diégétique ultra pop : "I was busy thinking about boys, boys, boys"...
...Soudain retour à un plan de demi-ensemble permettant d'avoir une vision élargie. Fini les plans serrés grotesques sur ces wasp en sueur dans un club le samedi soir, arrêt de la musique, retour au son in qui met en avant les conversations bruyantes de ces apollons gassouillés perlés de sueur. Focalisation sur trois d'entre eux, dont la conversation misogyne dépasse l'entendement...
Ainsi s'ouvre Promising young woman. Sur ces hommes échauffés, suintants, que la caméra semble prendre un malin plaisir à filmer dans leur médiocrité.
J'étais très curieuse après visionnage de la bande annonce. Je n'attendais pas grand-chose de particulier ; j'avais peur d'une production trop américiane, qui manque de subtilité, qui ne touche pas le fond du problème ou tombe dans la facilité. Je craignais comme je l'avais lu dans certaines critiques un certain manichéisme, sans doute une caricature, voire un ton moralisateur galvaudé. J'avais peur d'un film au féminisme commercial, d'un thriller trop lisse qui pour brasser large se donne trop peu de moyens. Mais j'espérais.
Eh bien je n'ai pas été déçue.
Depuis que je l'ai vu, je n'arrête pas de penser à ce film. Il m'obsède.
J'ai passé les 3/4 du films à me dire qu'en effet, ça manquait de subtilité ; qu'il regorgeait de très bonnes idées, tant dans l'esthétique que l'écriture, mais qu'elles étaient dépassées par les incohérences, les dialogues caricaturaux voire théâtraux, quelques facilités peut-être. Et en fait non. Le film n'a cessé de me surprendre, d'aller là où je ne m'y attendais pas, notamment sur la dernière partie qui m'a fait l'effet d'une claque. En plus d'être terriblement entraînant, porté par une Carrey Mulligan au sommet de sa classe et de son charisme, ce rape and revenge post-me too est terriblement jouissif, pour son final notamment, amené avec une dextérité déconcertante.
J'en ai pris plein les yeux pendant les 35 dernières minutes. Le scénario ne cessait d'aller à contre-courant de tout ce qu'on pouvait escompter, et comment prévoir ce final explosif, carrément jubilatoire, pernicieux et délicieux ? En se jouant des registres, Emerald Fennel permet à son film d'aller au-delà des clichés, et de proposer une vraie vision révolutionnaire en démontant progressivement la culture du viol. Elle questionne notre société moderne, montrant les facettes les plus larges possibles de la place des femmes et du consentement à travers un panel de personnages très divers. Avec je l'ai dit plus ou moins de subtilité selon les moments du film, Fennel offre un cocktail explosif, acidulé sauce Harley Quinn avec une esthétique candy qui contraste avec la violence que porte en elle la protagoniste principale. Si sur le papier la crédibilité de l'histoire est parfois ténue, l'esthétique globale et le jeu des différents acteurs apportent une vraisemblance à ce film qui tord le coup aux idées reçues et aux tropes scénaristiques des différents genres qu'il parodie : le thriller, la comédie romantique, la sexploitation, voire presque le blockbuster... L'esthétique guindée appuie la vengeance, resserre l'étau, confronte le spectateur à de véritables épiphanies cinématographiques. Entre l'ange et le démon, sorte de Joker féminin, le personnage de Cassandra, véritable héroïne tragique (dont l'onomastique n'est sans doute pas anodine ici) finit par devenir, elle aussi, une victime du système...
Je n'en dis pas plus et reste volontairement allusive car je ne veux pas spoiler le final magistral. Mais il y a énormément de choses à en dire (et j'ai bien conscience ici de ne pas dire grand-chose) ; en tant que femme, j'ai ressenti un bonheur jouissif dont je peinais à me remettre à la fin du film. La question de la sororité, de la complaisance masculine, du féminicide, de la place des grandes instances (grandes écoles mais aussi de la Justice avec un grand J), la place de l'homme moyen, celle du consentement, mais également la caricature du nice guy des comédies romantiques (excellent Bo Burham), de la rédemption (un des questionnements principal du film !!), tout ce qui peut détruire la vie de femmes oubliées qui auraient pourtant pu être des promising young women tandis que le système judiciaire sert sciemment les hommes... Tout est démonté et démontré, tandis que le final vient concrétiser et en même temps pulvériser tout ça.
...Tandis que ce dernier s'achevait me laissant bouche-bée sur mon siège, qu'enfin le générique apparaissait à l'écran, je me retrouvais là, scotchée, choquée, avec l'adrénaline et la dopamine d'une héroïne revancharde, et l'envie de corriger moi aussi subtilement tous les hommes qui m'ont fait du mal, qui m'ont trahie, salie, en toute impunité. Qui n'étaient pas automatiquement des nice guys et des connards ; juste des hommes qui jouissent d'un système qui les protège et qui les sert, qui grandissent malgré eux avec une éducation qui semble vouer fatalement toute relation hétérosexuelle à être compromise...
Est-ce que ce film va faire évoluer les consciences ? Je ne sais pas. Aux Etats-Unis, sans doute. En tout cas j'en ferai la promotion en France ; moi, il m'a beaucoup fait cogiter, et je lui attribue donc 8 (qui serait plutôt un 7,5), malgré ses défauts, parce que j'ai jugé que ses qualités les transcendaient, et que ce genre de production est trop important pour ne pas être encouragé.
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Créée
le 19 juin 2021
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5 j'aime
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