“Propriété interdite” est le récit d’une belle rencontre qui en profite pour toucher à beaucoup de thèmes.
Ici l’arbre qui cache la forêt a un nom de bois et se prénomme Natalie.
Cette fille irradie toutes les scènes dans lesquelles elle apparait, et face à elle il ne fallait pas moins qu’un flamboyant et jeune Robert Redford pour tenir la route.
La sensualité dégagée par ces deux acteurs traverse littéralement l’écran qu’ils habitent de leurs charismes titanesques. Et le spectateur ébloui se mue doucement en fidèle priant devant des icônes.
Au delà de la rencontre de ces deux soleils qui est pourtant ce qui marque nos rétines en quittant la salle, propriété interdite est aussi une histoire de crises:
La crise économique, personnifiée par Owen venu pour licencier, par les cheminots qui vivent leurs derniers moments d’insouciance avant de prendre corps dans les rues de la Nouvelle Orléans, par une pension abandonnée parce qu’elle a perdu son vivier de clients.
La débâcle d’une famille de femmes qui doit vivre avec le départ du père, se débrouiller pour accéder à un avenir moins pire quitte à endurer certaines souffrances pour y parvenir.
Celle de la trop belle Alva, prisonnière de ses charmes autant qu’elle en joue, qui rêve d’une vie meilleure tout en refusant de quitter ses repères, qui hésite encore à rester l’enfant rêveuse ou à devenir la femme que tout le monde voit déjà. Consciente de la médiocrité de son existence qu’elle maquille en plongeant dans ses rêves et ses flatteries.
Alva est le personnage pivot du film, et elle l’est déjà avant d’apparaitre: parce qu’on ne voit d’elle qu’un pâle reflet, une sœur pas vraiment féminine qui recycle des vêtements décrépis et ressasse un passé lumineux.
Willy voue une telle admiration à sa sœur que ça pique notre curiosité.
Même une fois plongés dans le passé, on tarde à voir Alva mais on mesure l’attente que fait naitre son absence chez tout le monde, et par ricochet chez nous aussi.
Quand enfin elle apparait, notre patience est hautement récompensée et on n’a aucun mal à comprendre l’intérêt que tout le monde lui porte. Elle est splendide, elle le sait, et elle en joue.
Owen fait échos à notre découverte (ou nous à la sienne): touché par le charme naturel d’Alva et refroidi par ses jeux de séduction éculés, par sa façon se se vendre à tous pour exister, d’inventer des aventures pour entretenir son rêve et celui des autres.
En la repoussant, Owen nous fait doublement plaisir: parce qu’il dit tout haut ce qu’on pense, mais aussi parce qu’il va permettre de réveiller Alva: elle va se jeter dans une cours maladroite et pathétique, n’arrivant pas à ses fins quand elle le voudrait mais se révélant touchante quand elle dévoile ses faiblesses.
De la même façon qu’il voit clair dans son jeu de séduction, Owen comprend la petite fille perdue en Alva, et rencontrer son monde fait d’imaginaire exacerbé vient casser la rectitude de sa vie d’homme rationnel rangée et froide.
On aime voir ce personnage rigide flancher devant la belle.
D’ailleurs est-il si froid cet Owen? Quand on lui demande si ça ne lui fait rien de virer des gens, il se crispe sur sa fourchette, comme si ça lui demandait un effort de répondre que non ça ne lui fait ni chaud ni froid, prouvant au contraire qu’il lutte pour éviter de penser au mal qu’il fait.
Il l’explique d’ailleurs plus loin: s’il commence à penser aux familles qu’il met sur la paille, il est perdu.
Owen n’est pas froid, il essaie seulement de “faire le boulot” en se protégeant du mieux qu’il peut, tout comme Alva n’est pas que belle, elle essaie juste d’utiliser ce que la nature lui a donné au mieux. En bons produits de leurs univers respectifs, ils vivent à la fois libres et prisonniers de leurs rôles, un statut dont il leur sera bien difficile de se défaire. Ce ne sont pas les personnages qui sont durs, c’est le monde autour d’eux qui les force à l’être.
D’ailleurs même les moments de bonheur que nous vend le film sont teintés d’une part de norceur et d’ironie, comme si tout était factice, comme si rien ne pouvait jamais être aussi beau dans la réalité que ce qu’on aurait pu rêver.
Sous couvert de nous raconter une belle rencontre et de donner à deux êtres magnétiques l’occasion de s’attirer mutuellement, propriété interdite nous parle surtout des carcans dont nos vies sont faites: des attaches professionnelles, familiales, morales, qu’on noue, qu’on subit, qu’on recréé, de nos vies qui nous échappent toujours un peu, et des choix qui parfois nous permettent de sortir des fers dans lesquels on se laisse enfermer pour en choisir d’autres. On est bien loin d’une comédie gentillette.
Un beau film sur bien des points, qui réunit un casting de rêve et donne au jeune Sidney Pollack l’occasion d’exprimer son talent sur quelques scènes marquantes (on retiendra surtout cette magnifique image d’un train fendant les eaux pour symboliser le nouveau départ auquel Alva se prépare).
A voir et revoir sans modération.