Le cinéma de Sydney Pollack a souvent ceci de particulier, c'est qu'il marque durablement le spectateur que je suis. "Jérémiah Johnson" (un des meilleurs westerns que je connaisse), "nos plus belles années", "Out of Africa", "la firme", pour ne citer que ceux que je préfère. Cela tient au sujet, à l'atmosphère créée dans le film, aux personnages et à leurs interprètes.
Et c'est bien le cas de "propriété interdite" qui est un des premiers films de Pollack dont l'histoire est bouleversante.
Le contexte de la crise de 1929 dans une petite ville du Mississipi qui vit autour de sa gare de marchandises et dont l'activité est en berne entrainant le chômage. Un hôtel où tout le monde se retrouve et qui a des allures de claque. La patronne de l'hôtel qui est la mère de deux jeunes filles, Alva (Natalie Wood) et Willie. L'une, très belle, est courtisée par tout le monde. Parfois de très près, ce qui n'est pas pour déplaire à la mère qui est un être cupide et sans cœur.
Un agent de la compagnie de chemins de fer, Owen (Robert Redford) dont le boulot consiste à distribuer les lettres de licenciement aux cheminots, arrive dans la ville et rencontre Alva. Alors que Alva rêve d'un monde poétique ailleurs pour fuir une réalité sordide qui la submerge, Owen, lui, exerce sa mission avec réalisme et fermeté. Lui, ne rêve pas. On se doute que ces deux personnages contraires vont s'attirer irrésistiblement. Mais c'est sans compter la rapacité de la mère.
Le film est construit en un long flash-back raconté par la sœur cadette, Willie, plusieurs années après le drame, à un petit copain. Ce montage permet de ranger l'histoire d'Alva au rang de souvenir voire même de légende et ouvre le film sur un avenir même s'il est encore bien incertain.
Tout tourne autour du personnage d'Alva jouée par une Natalie Wood qui crève littéralement l'écran. Femme-enfant, séduisante aux allures un peu inconséquentes mais si charmante. Sa sensualité à fleur de peau entraine, inconsciemment, autour d'elle un véritable tourbillon d'hommes amoureux ou simplement attirés, qu'elle fait marcher ou qu'elle repousse. Mais cela cache une vraie détresse devant l'avenir sans grandeur, fait de calculs sordides et mesquins que veut lui imposer sa mère. C'est cette détresse qu'elle refuse obstinément de voir, mais que Redford saura détecter, qui rend son personnage si bouleversant. Tel un (beau) papillon pris au piège de la lumière et qui adopte la pire solution pour fuir.
J'aime bien aussi le personnage joué par Robert Redford. Certes son job est déplaisant et mortifère (au moins en ce qui concerne les emplois supprimés). Mais le personnage est transcendé par cette éclaircie apportée par la venue d'Alva à la Nouvelle Orléans.
À l'affiche, il y a bien aussi Charles Bronson mais son rôle est assez effacé.
Je terminerai par le personnage de Willie, la jeune sœur d'Alva car il est joué par une jeune actrice Mary Badham (14 ans en 1966) que j'avais énormément apprécié 4 ans plus tôt, à 10 ans, dans ce formidable film "Du silence et des ombres" (Robert Mulligan) où elle joue le rôle inoubliable de Scout.