Des pièces qui s'ajustent assez mal
Paul Haggis récidive, tente à nouveau de s’installer dans la peau de Robert Altman, s’érige en spécialiste du récit choral après le succès de Collision. On aura donc trois histoires, trois mélodrames, entremêlés, imbriqués, emboîtés, entrecroisés.
Mais cette fois la sauce ne prend pas.
D’abord à cause des liaisons – car il n’y a en fait aucun lien entre les trois histoires (sauf à l’extrême/extrême fin, pour quelques secondes), les personnages ne se connaissent pas, ne se croisent, sans se voir, que très ponctuellement, très incidemment. Et un peu bizarrement aussi, vu que les récits se déroulent dans des lieux très éloignés.
Même si les liens, de scène à scène, restent fluides et sous contrôle, l’unité du film en devient assez bancale, d’autant plus que les trois histoires ne bénéficient pas, quantitativement, du même traitement.
Mais surtout ces différents récits ne sont pas vraiment passionnants – au point que l’on peut se demander si présentés individuellement, ou juxtaposés, ils auraient eu le moindre intérêt ; ou encore si la principale justification du récit éclaté ne réside pas précisément dans ces insuffisances compilées. Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples. En fait leur insuffisance tient surtout à une confusion qui n’est jamais levée : les trois histoires, plus ou moins romantiques, vécues sur le mode du conflit / pas conflit, amour / haine … renvoient toute à une fêlure, un accident lourd dans le passé, adultère, infanticide, inceste … essentiel sans doute, mais sans que même lors des « résolutions » ces chocs ne soient clairement élucidés. Et c’est d’autant plus difficile à appréhender pour le spectateur que les préliminaires auront été très longues, souvent répétitives, sans que la confusion soit jamais vraiment levée.
Puzzle n’échappe pas non plus à des tics très boboisants – rien de « naturel », ni dans le cadre, ni dans les personnages :
- les lieux, très éclatés donc – les histoires auront lieu à Paris, à Rome, à New York, évidemment. Sans que cela ait d’ailleurs une quelconque incidence sur l’histoire (à l’exception, peut-être, d’une image assez caricaturale de l’Italie),
- les personnages et leurs fonctions, du même acabit : artiste-peintre, écrivain, faussaire (en piratage de grandes marques de haute couture) ; sans que cela ait d’ailleurs une quelconque incidence sur l’histoire (sauf peut-être pour l’écrivain),
- Et à propos de haute couture – les fripes de la Rom (la bombe Moran Attias) auraient évidemment leur place en tête du plus grand des défilés ; quant à la crédibilité de Mila Kunis en femme de ménage dans un hôtel de luxe …
Le film hésité encore à trouver une tonalité – même si la dimension dramatique (ou mélodramatique) affleure assez rapidement. On peut même toucher au vaudeville, dans des scènes qui figurent d’ailleurs parmi les plus réussies du film : la course très éperdue et très nue d’Olivia Wilde dans les couloirs de l’hôtel sous l'oeil très voyeur des caméras de surveillance, l’alerte à la bombe (« la bomba ! ») après que la tzigane eut oublié son sac à l’intérieur du café (avec la représentation des Roms qui s'ensuit ...).
Car le film présente aussi des qualités évidentes : la fluidité du montage, dans les liaisons, et plus encore dans la progression – avec des transitions très rapides au départ, qui ne laissent pas souffler, puis une installation plus posée, plus suivie des trois récits ; des éléments de réalisation maîtrisés, même si certains procédés peuvent tourner au systématique (comme le passage au flou sur les personnages, avec changement de mise au point, à des moments sans doute importants – et qui mériteraient, peut-être, d’être revus après coup) …
Et la direction des comédiens est plutôt réussie, en particuliers pour les actrices, leur abattage, leur présence, leur beauté.
Et le twist final, même s’il n’échappe pas, comme l’ensemble, à une certaine confusion, est très malin. On pourra toujours arguer, comme dans certains commentaires, ici ou là, que nombre d’indices l’annoncent de façon assez lourde, il n’est pas certain du tout qu’il soit anticipé par nombre de spectateurs. Pas de spoil, évidemment – même si, par jeu et en écho au film, j’ai dû laisser dans la critique un ou deux indices plus ou moins subliminaux.
Ce twist est sans doute une trouvaille de vrai scénariste, conforme à l’histoire et à la carrière de Paul Haggis. Pas question de spoil, évidemment - même si – j’ai le sentiment que Puzzle gagnerait à être revu une fois justement que l’astuce finale serait connue.
Peut-être.