How Green Was My Valley trouve sa force dans la multitude des thèmes qu’il aborde, à savoir : l’exploitation des mineurs par un patronat condescendant, les bienfaits et les déviances de la culture biblique, les causes de l’émigration, les grèves et les fondations des syndicats ouvriers gallois et surtout la vie de la famille Morgan au sein d’une communauté du XIXe siècle. Tous ces sujets sont auscultés par le regard de Huw Morgan, le cadet des Morgan. Ce dernier est également la voix off du métrage, qui, à l’aube d’un départ de son village, se remémore sa jeunesse passée dans cette vallée. Le narrateur est donc un personnage vieillissant empli de nostalgie et de tristesse que l’on découvre dès l’ouverture du film. Sous la forme d’un long flash-back, John Ford nous retranscrit l’histoire d’un souvenir indicible ancré au plus profond du personnage principal, histoire adaptée du roman de Richard Llewellyn. D’ailleurs, le titre est évocateur puisqu’il se réfère à un passé qui semble lointain et une amertume, quant à elle, toujours présente.



We will live in the minds of each other.
Nous vivrons chacun dans l'esprit de l'autre.



Pendant près de deux heures nous partageons les joies et les peurs du plus jeune des fils d’une famille qui devra faire face aux sacrifices, aux désillusions et au temps qui passe. Cette même famille, qui compte cinq fils et leurs deux parents, est très autoritaire à l’image du père, juste et droit. La mère occupe elle la place de maîtresse de maison et non de simple bonne à tout faire. Car comme rappelé par le narrateur, si le père était le cerveau du foyer familial, la mère en était le cœur (on verra lors de la scène de grève sous la neige qu’elle représente bien plus que ça et qu’elle surplombe l’homme d’une main ferme, allant même jusqu’à le défendre de ses semblables). C’est donc cette affirmation qui laisse supposer que chacun a un rôle primordial à jouer au sein de la maisonnée. Mais ce chef de famille avec cette autorité patriarcale irréprochable devient simple ouvrier aux abois d’un patron en quête de profits dès lors qu’il franchit le pas de sa porte et qu’il monte le vertigineux sentier menant à l’entrée de la mine, comme tous les hommes de la vallée. De plus, ce décor, avec en premier plan la maison des Morgan, au deuxième le chemin de la mine et au troisième le chevalement, est le vestige de l’homme et de la révolution industrielle. John Ford sait parfaitement le filmer et nous propose des plans d’une beauté confondante dont celui du petit Huw qui réapprend à marcher avec le prêtre Mr. Gruffydd dans un champ de jonquilles dominant la vallée voisine. Le réalisateur américain se voue un culte pour les scènes de cortège et de bousculades à l’instar des chants lors des mariages.


Et enfin, l’œuvre est grande par le contexte social dans lequel elle se plonge avec ces braves travailleurs gallois prêts à éreinter leurs corps dans les étroits tunnels souterrains de la mine pour quelques pièces, tout en ayant conscience de la disparition progressive de leur métier et de la concurrence provenant des autres vallées. Cette situation devenue précaire avec la disparition du marché du charbon évoque aussi chez nous français, le souvenir qu’il y a peu dans les régions du Nord et de l’Est s’appliquait la même exploitation de gisements miniers avec son lot de drames : coups de grisou, écroulements, maladies pulmonaires etc… J. Ford ajoute à cela une leçon de vie contre l’étroitesse d’esprit, l’hypocrisie et la lâcheté grâce au discours du prêtre Gruffydd face aux diacres et à ses détracteurs, au moment où l’hypocrisie et la sournoiserie s’installent dans la vallée. Ce discours est le procès de ces comportements machiavéliques des habitants qui jugent la passion amoureuse que Walter Pidgeon et Maureen O'Hara se vouent l’un pour l’autre et qui dénigrent cette femme ayant mis au monde un enfant hors mariage.


Qu’elle était verte ma vallée est la chronologie d’une époque révolue mais qui a su marquer le spectateur par l’émouvante farandole de personnages empathiques qu’elle propose, qu’ils soient, drôles comme le boxeur et son acolyte, émouvants comme le pasteur et son amour refoulé, tragiques comme le dévoué père de famille ou tyranniques comme ce méprisant professeur d’école. Plus qu’une simple fresque historique, le long-métrage américain s’empare de la dimension sociale inégalitaire pour dresser un hymne à la bienveillance ainsi que pour relever les contradictions de la religion et de la croyance en général. Le film est truffé de plans d’un éclat éblouissant apportés par ce don du cadrage qu’a John Ford. La puissance lyrique omniprésente résulte d’une voix off teintée de tristesse et de mélancolie qui nous accompagne le temps d’un film pour évoquer ce souvenir impérissable, celui qui est si lointain mais tellement perceptible par son intensité affective encore présente. Le monologue se termine, clap de fin, la petite larme coule sur votre joue, chef d’œuvre complet, douloureux et magnifique, lugubre mais resplendissant.

The Passenger

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