Quand le génie vampirise l'émotion
Revoir ce film m'aura au moins permis de me rassurer sur une chose : je sais (parfois) être cohérent avec moi-même.
Je me dois donc de séparer deux choses afin d'être totalement objectif. L'analyse de l'œuvre d'art en tant que telle et celle du film à proprement parler, l'une ayant d'ailleurs une répercussion directe sur l'autre.
Que les choses soient claires, ce film est tout simplement extraordinaire au sens littéral du terme, que ce soit dans son fond, explosant la tradition du film soviétique nationaliste, pour ne pas dire de propagande, que dans sa forme. Ici on est face à ce qui se fait de plus grandiose, tant les prouesses et innovations techniques se succèdent. En ce sens, "Quand passent les cigognes" marque une gigantesque révolution et provoque forcément une "érection cinéphilique" de tous les instants. Et cela peut paraitre étrange, mais c'est justement là que se situe le problème relationnel que j'ai avec ce film. Sergueï Ouroussevski est un pur génie, à tel point qu'il vampirise le travail de Kalatozov, et de ce fait on se retrouve en réalité plus confronté à un film de chef opérateur que de metteur en scène.
Et c'est là que je me retrouve bloqué, dans l'incapacité de vivre le film, ne ressentant aucune émotion première. Mon émotion n'est donc qu'intellectualisée, sans aucun lâcher-prise possible, condition indispensable à une véritable immersion et donc à un plaisir gratuit.
J'ai d'ailleurs connu cette même sensation face à "Soy Cuba" (1), autre collaboration entre Ouroussevski et Kalatozov.
A vrai dire j'ai fait un rêve, "Quand passent les cigognes" auraient changé de générique, et le nom de Tarkovski se serait substitué à celui de Kalatozov.
(1) http://www.senscritique.com/film/Soy_Cuba/390558