Quand une femme monte l'escalier par Alligator
mai 2010:
Un Naruse plus noir qu'à l'habitude. Il me semble. Ca fait quelques temps que je n'avais pas vu un de ses films. C'est d'abord un joli portrait de femme, incarnée par une Hideko Takamine encore une fois subjugante de classe. Elle ne cesse de m'épater. Sans être extrêmement jolie, elle dégage quelque chose d'irrésistible qui la rend belle. Le travail de Criterion pour rendre hommage à cette radieuse beauté est comme de coûtume remarquable. Quand la magie Criterion opère sur la magie Takamine.
Pour en revenir à l'histoire, les personnages, je ne peux m'empêcher d'être sur la retenue. Non que les personnages soient inintéressants, ou mal écrits. Bien au contraire. C'est encore une fois un travail d'écriture considérable. On retrouve là le soin, la délicatesse et l'acuité de Naruse. L'acuité du regard de sa caméra n'a d'égal que la tendresse et l'attention qu'il porte à ses personnages. Encore dans la profondeur, encore dans l'humanité.
Aussi ne sais-je pas trop encore en quoi le film ne m'a pas autant touché que les précédents Naruse que j'ai vus. Je n'arrive pas à mettre ne serait-ce qu'une ébauche d'idée là-dessus. Peut-être et vraiment peut-être... que j'espérais plus de la relation entre Takamine et Nakadai, que le scénario y accorderait plus d'importance? Pffff... en même temps, je me dis que ce n'est pas du tout l'essentiel de l'hstoire. C'est Takamine qui monte l'escalier, pas Nakadai. C'est bien le difficile trajet d'une femme seule, indépendante, ses atermoiements, les chausse-trappes affectifs dans lesquels elle tombe, le poids d'une société qui laisse peu de place à la femme, sinon comme objet sexuel ou décoratif.
Ce que j'aime dans ce film, outre la prestation de Takamine, c'est le fait que tout n'est pas aussi simple qu'on ne le voudrait. Naruse crée des personnages réels, qui luttent plus ou moins contre les identifications faciles, contre les ambitions et les destins tout tracés, les caractères types que la société préconise expressément. Plusieurs fois Takamine se voit proposer des solutions par les hommes, où elle perd de son espace de liberté. La pression sociale est telle que la tentation de s'y plier est grande. D'autres le font. Beaucoup le font. Takamine succombe parfois. Elle est à la fois faible et forte. Elle apprend. Mais dieu que c'est dur de monter l'escalier quand on est une femme! Au final elle reste maîtresse de ses décisions. Naruse lui accorde ce pouvoir.
Je suppose que c'est ce que j'aime le plus chez Naruse, la force très simple et très naturelle pourtant qu'il donne à ses propres personnages, comme s'il n'était pas le directeur du récit, comme s'il n'était qu'un témoin de cette histoire. Pour arriver à ce genre de prodige, il faut un sacré coup de pinceau, une écriture ciselée et une direction d'acteurs attentionnée. On les sent en effet à la fois libres de leurs mouvements et suivis attentivement par la caméra. C'est toujours un bonheur un Naruse, même quand il ne me caresse pas l'âme.