Le thème initial, le braquage mal fagoté d’un drop bar (un bar où l’on dépose, avant blanchiment, le fric innommable) géré par la mafia tchétchène, n’est évidemment que prétexte. Tout est pourri, des lieux aux hommes, dans ce Brooklyn nocturne, aux rues sales et aux intérieurs surencombrés. De fait les bornes morales sont définies par les deux institutions qui contrôlent tout –la mafia de l’est, évidemment atroce, et les flics, avec leurs indics, qui emploient sans doute les mêmes méthodes. Au milieu, des individus qui s’agitent, tentent de trouver leur place dans le bocal, magouillent, jusqu’aux drames inévitables et glauques – et un innocent, le barman du fameux drop bar, plus que discret, témoin taiseux de ce monde en perdition.
La mise en scène rend bien compte de cette atmosphère confinée et poisseuse , ce monde où les acteurs, toujours filmés au plus près, quasiment jamais de plein pied, se heurtent constamment au cadre. Et pour son dernier rôle, James Gandolfini lui-même, habituellement si énorme dans ses éclats incontrôlables même quand il est en perdition (dans The Barber, dans Cogan …), ici perdu dans ses magouilles assez misérables, peut sembler très étriqué, plus à sa place dans cet univers-là où il a pu avoir ses heures de gloire. Tom Hardy, son cousin et barman, paraît lui-même très fragile et peu à sa place – quand il est confronté à son cousin agité, à un rival colossal et psychotique, aux mafieux, aux flics …
Poursuivre dans cette voie reviendrait inévitablement à spoiler, puisqu’inévitablement ce premier accroc, le braquage foireux et toute la pression qui va suivre, va provoquer convulsions et explosions le temps d’une nuit chargée d’électricité jusqu’à ce que ….
En réalité ce monde plus que gangréné conserve des codes. Et « l’ordre » doit reprendre ses droits. Tout finit par se savoir, et les conséquences sont toujours tragiques, surtout pour ceux qui s’agitent, au milieu, sans savoir rester à leur place. Sauf quand on y met les formes – on peut mentir, se taire (et bien pire) si cela ne menace pas (pas trop) l’intérêt du groupe. On peut même y tracer son chemin, il suffit d’y mettre les formes.
Au bout du bout, on sera donc de plus en plus profondément enfoncé dans la boue. Avec une nuit de plus en plus envahissante. La conclusion peut sembler très pessimiste - mais il reste, chez un homme aussi compromis que tous les autres, le respect inaltérable des innocents, une femme, un chiot aussi, qui ne valent pas plus de 10 000 dollars pour des hommes qui n’ont eux-mêmes plus rien de respectable.
Alors le film peut s’achever sur une image diurne et paisible. Et sur le sourire de Noomi Rapace.