La vengeance est un thème qui se décline à l’infini. Le partis pris de cette adaptation par Chabrol est clairement d'en conserver l’origine littéraire. Que la bête meure est un film profondément écrit, sur l’écriture et progressant essentiellement par elle.
La voix off de Charles nous accompagne, lisant le journal qu’il rédige à l’encre rouge et dans lequel il a décidé de substituer au chant du deuil de son fils les préparatifs cliniques et haineux du meurtre de son assassin.
L’atmosphère posée et ténue de son journal semble déteindre sur l’extérieur. Si les premiers mois sont laborieux, la coïncidence qui enclenche ses recherches fonctionne aussi bien que dans n’importe quel polar. Sans éclat, sans hésitation, Charles remonte le courant jusqu’à la source de son mal devenu sa raison de vivre. Duchaussoy, pudique et méthodique, est brillant.
Il faut attendre 50 minutes pour voir enfin apparaitre Paul, personnage odieux comme seul Jean Yanne sait en camper. Là aussi, la noirceur du personnage et la jubilation avec laquelle il salit tous ceux qui l’entourent semble presque trop parfaites pour Charles. Elle occasionne aussi les tableaux de la bourgeoisie de province que Chabrol affectionnera tant par la suite, où le langage phatique masque avec tact les frustrations et la violence sourde. A ce titre, la scène de découpe du canard lors de l’aveu à Hélène est un modèle du genre.
Si les premiers éléments de son incursion dans la famille de Paul, comme la chute sur la falaise ou le souhait de mort par son fils peuvent sembler un peu rapides et grossiers, la suite s’équilibre par un mouvement bien plus retors et subtil. La conquête d’Hélène, femme secrètement brisée, ou la relation au fils, riche de non-dits et d’ambiguïté, est l’un des éléments les plus riches du film. Alors que se construit entre eux la relation filiale qui leur manque tant, c’est sous le sceau de la mort qu’elle se déploie : Philippe souhaite la mort de son père, et ce qu’il dit haïr dans son lien du sang renvoie au deuil de Charles quant à son propre fils.
La dernière partie reprend les rails du policier non sans brio : l’imprévu apparent de la révélation des mobiles de Charles révèle le nouvel usage fait de l’écriture : si elle soulage son auteur, elle le démasque aussi. Mais les développements de l’enquête et les soupçons du commissaire (Pialat, assez méconnaissable sans sa barbe) donnent à l’écriture une dimension autrement plus ambitieuse, dessinant une mise en abyme du deuil et de l’expression des sentiments par l’art : processus de catharsis intime et cri qu’on impose au monde, c’est le lieu de l’ambivalence par excellence.
(Spoilers)
Subsiste l’après, ce qui reste une fois la vengeance accomplie. Du policier, on dérive vers les rouages d’une tragédie grecque, où le fils vivant a tué le père assassin, peut-être motivé par l’amour noir que lui portait le nouvel arrivant. Trop lettré pour s’en tenir à une satisfaction haineuse, Charles s’en va au large, bouclant le premier plan qui donnait à voir la plage sur laquelle son fils s’adonnait aux derniers jeux de son existence.
Policier mélancolique, intelligent et analytique, Que la bête meure ne prend pas ses sources en Bretagne pour rien : sous un climat contrasté, battu par les vents et dont les côtes sont aussi dentelées qu’acérées, les gens qui la peuplent sont tous, sans exception, des épaves.