Rendre le mal absolu, probable.
"Un homme écrase un enfant. Le père de l'enfant veut se venger." Il existe deux films qui utilisent ce scénario : "Crossing Guard", où l'assassin est un brave type, qui ne souhaite que la rédemption, et "Que la Bête meure" où l'assassin est la pire ordure possible.
Ce qui est intéressant, c'est que dit comme ça, on aurait tendance à penser que le deuxième film est un bon gros film bien lourd avec un méchant bien méchant et le premier un film sur la responsabilité de l'être humain. Perdu. "Crossing Guard" est un film bien fait mais largement oubliable alors que "Que la bête meure" est un chef-d'oeuvre psychologique.
Au premier visionnage de ce film j'avais trouvé que le début était très long (il faut bien 50 minutes avant que Jean Yanne n'arrive) mais finalement, cette tension permet vraiment de faire arriver ce méchant "pur." Tout le monde est très poli, très psychologique, fin. Ca fait très année 60 : tout le monde se vouvoie, on est dans les apparence, on parle de la pluie et du beau temps (littéralement) et les comédiens sont redoublés en post-prod. Et soudain apparaît Jean Yanne : un éléphant qui se serait acheté un magasin de porcelaine pour le simple plaisir de tout casser autour de lui : vulgaire, magouilleur, méprisant, etc...
Et le film est tourné sur cette cassure entre Jean Yanne et son petit monde, de façon à être un méchant tellement improbable que cela fonctionne. (Ses gens parlent ouvertement de l'assassiner limite avec le premier venu.) Car la réussite de Chabrol dans ce film est de nous rendre crédibles des trucs ouvertement improbables : un père de famille qui dit aux policiers ce qu'il faut faire, des coïncidences énormes (le fait que Duchossoy cale dans la même flaque de boue que Jean Yanne et que le même pépé du coin les voit) des artifices téléphonés (le coup du reportage de télévision à la fin du film : je vois mal une chaîne de télé bloquer l'antenne et envoyer sur l'heure 3 caméramen en Bretagne pour un simple fait divers.)
Dès lors, la question devient "est ce qu'on peut vraiment assassiner quelqu'un, même le roi des pourris ?" et en cela, la fin sur sa parabole biblique est assez réussi alors qu'elle est tout aussi improbable. (Les policiers ne réfléchissent pas autant avant d'inculper un suspect.)
Chabrol livre ici un film, qui, s'il s'étire bien trop en longueur par rapport à mes habitudes (je suis fan de ce qui est court) n'en reste pas très bien filmé et très bien raconté, avec des scènes cultes (le repas de famille, évidemment...)